Les distorsions de la représentation des partis à l’Assemblée nationale, à la suite de la dernière élection, sont telles qu’elles semblent justifier une remise en question de notre mode de scrutin.
Mais la solution est loin d’être simple. Le problème, c’est par quoi le remplacer ? La proportionnelle, c’est beau, mais il y a bien des sortes de proportionnelles et toutes ont leurs inconvénients. Un sondage récent indique que seulement 53 % des Québécois estiment qu’il faut changer notre mode de scrutin, et ils se trouvent surtout chez les partis qui ont subi les injustices du récent scrutin : QS, le PQ et le PCQ. Les partis gagnants sont plutôt opposés. Un référendum sur le sujet serait de toute évidence risqué : il a d’ailleurs été perdu partout où il a été tenté ailleurs au Canada.
Le mode de scrutin fait appel à deux aspects de la représentation : la représentation mathématique (une personne, un vote) et la représentation territoriale ou communautaire (un comté, un député). En gros, notre mode de scrutin privilégie la représentation territoriale au détriment de la représentation mathématique, et le mode de scrutin proportionnel, la représentation mathématique (une personne, un vote), au détriment de la représentation des territoires et des communautés. Au Québec, ces distinctions sont importantes vu l’étendue du pays et la dispersion des populations. Les gens des régions périphériques sont démocratiquement défavorisés par un scrutin proportionnel, et il se trouve que c’est dans le Québec des régions que sont principalement les Québécois francophones.
Notre mode de scrutin donne une prime aux gagnants et punit les perdants : cela favorise des gouvernements forts qui sont en position de décider, alors que le mode de scrutin proportionnel favorise la multiplication des petits partis et les gouvernements de coalition faibles et instables. C’est la raison pour laquelle les partis qui aspirent au pouvoir, contrairement aux partis marginaux, s’opposent généralement au changement de notre mode de scrutin.
Ces dernières années, on a tenté de sauver la chèvre et le chou en nous proposant un mode de scrutin « proportionnel mixte à compensation régionale », comportant 75 députés de comté élus selon le mode de scrutin actuel, et 50 autres répartis dans chaque région en fonction du vote obtenu. Mais ce système a les défauts des deux sans en avoir les qualités. Il crée deux classes de députés et maintient les distorsions pour les députés territoriaux, en plus d’exiger un découpage de comtés exagérément grands (75 au lieu de 125). Appliqué à la dernière élection, il aurait donné un gouvernement minoritaire à la CAQ et quatre partis d’opposition très forts. Loin d’être un progrès, son adoption serait un recul selon plusieurs.
En fait, le vrai problème, ce n’est pas le mode de scrutin, mais l’emprise des partis sur le système électoral et parlementaire. On n’élit pas nos représentants ni le premier ministre, on élit des partis et des candidats de parti. La façon de sortir de cette usurpation de la représentation par les partis, ce serait d’aller vers un gouvernement de consensus, comme celui qu’ont adopté les Inuits. Chacune des 14 communautés inuits choisit son délégué au gouvernement, et ceux-ci choisissent le président (premier ministre) et son exécutif. Il n’y a pas de partis. En Suisse, en plus, la présidence est assumée par rotation annuelle.
L’équipe de René Lévesque avait élaboré, en 1984, un mode de scrutin très ingénieux, dit proportionnel régional. Les régions devenaient les comtés et conservaient le même nombre de députés, mais ceux-ci étaient élus par vote préférentiel à partir des listes de candidats proposés par les partis. Par exemple, dans une région qui compte cinq députés, chaque parti propose sa liste de cinq candidats et l’électeur en choisit cinq parmi ceux qui sont sur les listes des différents partis. Ainsi, les députés élus peuvent être de partis différents, mais ils sont tous des députés régionaux d’abord. Dans l’esprit de René Lévesque, ce système devait servir de base à une décentralisation régionale du pouvoir politique et à des gouvernements régionaux. Mais le caucus des députés péquistes, Jacques Parizeau en tête, a bloqué l’adoption de ce projet de loi.