La crise des journaux, radios et télévisions, qui jouaient chez nous un rôle unificateur, met en danger l’avenir non seulement de nos régions, mais du Québec lui-même en tant que seul peuple de langue et de culture françaises en Amérique.
Les succursales régionales des réseaux de télévision et de radio sont littéralement décapitées, et les journaux régionaux voient leurs jours comptés parce que la publicité, qui leur permettait de vivre, préfère désormais s’afficher sur le web. Tous Montréalais! Tous Américains!
En effet, ce qui remplace progressivement nos salles de nouvelles régionales ou nationales, nos séries télévisées d’ici, nos journaux régionaux, ce sont les communications numériques, qui sont une sorte d’information et de culture à la carte, dominées par les grands cartels de l’internet (Google, Facebook, X-Twitter, YouTube, Spotify, Netflix, Crave, Tou.tv, etc.), la plupart évidemment de langue et de culture anglophones, et accessibles sur le cellulaire individuel.
Chacun regarde, écoute et lit ce qu’il veut, quand il veut, où il veut, en anglais de préférence. Les auditoires sont fragmentés à l’infini, les identités et les appartenances également. Tout le monde s’improvise journaliste, éditeur, chroniqueur, influenceur, spécialiste. La primauté n’est plus aux faits, à la vérité, à la collectivité, mais à l’opinion, au goût personnel et à l’individu.
Dans ce contexte, l’identité, la communauté et la culture locales et régionales ne peuvent que s’effacer progressivement. D’autant plus qu’en région, les 65 ans et plus, qui font 25 % et plus de la population, ne fréquentent pas tous internet, les balados et les applications.
L’effacement des régions aura un effet direct sur l’asphyxie du Québec français lui-même, car ce sont les régions qui font depuis toujours contrepoids à l’anglicisation historique de Montréal. Les régions, depuis toujours, sont les gardiennes de la tradition et du territoire du Québec.
Comme peuple, nous avons beaucoup de choses que les autres sociétés d’Amérique n’ont pas, dont une occupation du territoire unique, qui a produit une société, une culture et une langue caractérisées par la diversité territoriale.
Au cours de la Révolution tranquille, nous avons mis en place les bases d’une gouvernance et d’une démocratie régionales dynamiques. Dans un élan de créativité peu commun, nous avons développé une culture, des médias et un univers d’artistes, d’écrivains, de comédiens, de musiciens, de journalistes propres à nous, qui nous ressemblent et nous expriment. Tout ça est en train d’être emporté par la vague de médias numériques anglophones.
À la fin, c’est la démocratie qui écope. La démocratie repose sur la souveraineté du peuple, la communauté des citoyens, et la recherche collective du bien commun. Mais il y a de moins en moins de « citoyens » : que des individus défendant âprement leur individualité et leur différence. C’est désormais l’intérêt individuel qui est la norme : « J’ai des droits, j’ai le droit, la démocratie c’est moi, ma liberté, ma différence, mon opinion. » Dans ce contexte, l’État n’est plus le représentant du peuple, mais un simple distributeur de services à une masse de clients.
Le nouvel État, en réalité, c’est « Big Brother », une poignée de milliardaires américains qui nous épient pour mieux nous vendre leur camelote.
Que faire? Sinon savoir rester nous-mêmes, espérer que nos politiciens agissent, souhaiter que « notre Placoteux demeure », ou rêver que TVA fusionne avec Télé-Québec pour devenir une chaîne de télévision publique entièrement québécoise, n’en déplaise au CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), qui nous regarde mourir sans rien faire.