Arnaud Caron-Daneault, 26 ans, et sa compagne de vie, Claudine Cousineau, 23 ans, se qualifient de néo-anciens. Logés dans une modeste roulotte qu’ils ont eux-mêmes retapée, ils vivent avec environ 12 000 $ de revenus à deux par année. Un exploit qu’ils ont rendu possible en développant un savoir-faire utilisé au début de la colonie, sans pour autant sacrifier un certain confort moderne.
Rien ne laissait présager qu’Arnaud et Claudine deviendraient un jour les moteurs de leur propre subsistance. Comme il l’a lui-même souligné, ils ont tous les deux grandi dans la « ouate », au sein de familles de classe moyenne de la région de Montréal. Au lendemain du printemps érable en 2012, ils ont commencé à expérimenter un mode de vie plus rudimentaire. « On a réalisé qu’on évoluait dans un monde brisé où on était prédestiné à devenir des pions qui servent seulement à faire rouler l’économie », d’expliquer Arnaud.
De cette révolte, tout en étant inspiré par des auteurs comme Jack London ou de grands hommes qui ont marqué l’histoire comme Gandhi, le désir d’avoir le contrôle sur sa propre existence et sa propre subsistance a pris le dessus. « Produire nous-mêmes notre énergie, se nourrir, se bâtir, ce n’était plus seulement un désir, mais une priorité. On est né en ville et on se rendait compte qu’on ne savait rien faire », a-t-il ajouté.
Ils ont donc voyagé à travers le Québec, participant à des projets d’écocommunautés afin de développer des habiletés et un savoir-faire jadis courant chez les autochtones ou chez ceux qui ont colonisé notre pays, mais qui s’est effrité ou tout simplement perdu au fur et à mesure que le confort moderne s’est démocratisé. Mais à force de développer leur expertise, le désir de le partager est devenu un nouveau besoin afin de préparer les plus réceptifs à un mode de vie « post-apocalyptique », comme si la fin du monde tel que nous le connaissons actuellement était inévitable, ne serait-ce qu’un d’un point de vue environnemental.
« Quand tu suis correctement le protocole de compost de la toilette, il n’y a pas de risque de développement de pathogène. Gérer une fosse septique, la vider et traiter la matière, ça coûte une fortune à l’État et ce n’est pas revalorisé en fin de compte. » – Arnaud Caron-Daneault
Les Néo-Anciens
Arnaud et Claudine se sont donc installés à Sainte-Louise, en plein cœur d’une forêt non loin des sentiers de ski de fond du Rang Bonnet pour y aménager leur centre de formation qu’ils ont baptisé L’école des savoirs Néo-Anciens. Membre du Centre paysan, coopérative de solidarité qui offre des formations en agroécologie, leur école a déjà offert une formation en charpenterie ancestrale et en offrira bientôt une autre sur la conception d’une toilette compost et son fonctionnement.
Plus qu’un centre de formation, leur lopin de terre est avant tout leur lieu de résidence permanente, soit une roulotte aménagée de façon rudimentaire, mais qui témoigne de leur débrouillardise, de leur ingéniosité et de ce savoir-faire qu’ils ont acquis au fil du temps. Sans télévision, sans internet, leur maison a de moderne seulement ce qui est indispensable : de l’électricité qu’ils produisent à 100 % à partir de panneaux solaires; de l’eau puisée à même un ruisseau chauffée par un poêle avant d’être redistribuée vers la douche et l’évier de la cuisine grâce à une pompe et un système de tuyauterie qu’ils ont eux-mêmes développé. Quant aux eaux grises, elles passent toutes par un système de filtration avant de terminer leur course dans un marais filtrant.
Ne disposant donc pas de fosse septique et ne consommant que 18 L d’eau par jour à deux pour tous leurs besoins domestiques, Arnaud et Claudine n’ont pas de toilettes résidentielles qui consomment pratiquement l’équivalent à chaque chasse d’eau. Ils ont plutôt opté pour une toilette compostable qui fonctionne avec du brin de scie de bois vert, dont le fruit de la matière organique est récupéré pour enrichir la terre de leur jardin. « Quand tu suis correctement le protocole de compost de la toilette, il n’y a pas de risque de développement de pathogène. Gérer une fosse septique, la vider et traiter la matière, ça coûte une fortune à l’État et ce n’est pas revalorisé en fin de compte », de résumer Arnaud.
Sur le plan alimentaire, les deux néo-anciens visent l’autosuffisance, mais avouent être encore dépendants de la production des autres. En attendant d’avoir un jardin plus productif, ils privilégient le circuit court en achetant le plus localement possible auprès de producteurs régionaux, limitant ainsi leur empreinte carbone. Au final, c’est l’addition de tous ces petits gestes qui font qu’ils sont en mesure de vivre avec si peu de revenus en ayant chacun qu’un emploi à temps partiel.
Pas pour tout le monde
Toutefois, Arnaud et Claudine sont conscients que leur mode de vie est loin d’être la norme en 2019 et que peu de gens seraient réceptifs à l’adopter. La facilité et le confort de la modernité sont des acquis difficiles à combattre. « On ne juge pas les gens qui ne vivent pas comme nous, on leur dit seulement que c’est possible et qu’on peut leur enseigner à l’École des savoirs Néo-Anciens », d’expliquer Arnaud.
Par contre, pour eux, pas question de revenir en arrière. Il suffit qu’ils renouent temporairement avec le confort de la modernité pour qu’ils s’ennuient de leur mode de vie de subsistance. « Quand je visite mes parents et que je me retrouve sur le divan à ne rien faire, je m’endors carrément. J’ai besoin de ça, le côté rudimentaire », de conclure Arnaud.