Éditorial : L’éléphant blanc

L'usine de biométhanisation à Rivière-du-Loup. Photo : Stéphanie Gendron.

Un éléphant blanc est une réalisation d’envergure, souvent d’initiative publique, mais qui s’avère plus coûteuse que bénéfique, et dont l’exploitation ou l’entretien devient un fardeau financier. Ce mois-ci, l’usine de biométhanisation de Rivière-du-Loup est officiellement entrée, à mon avis, dans le club pas très convoité des éléphants blancs québécois. 

Près de 30 M$ ont été investis dans cette usine de traitement des déchets de table, qui devait transformer vos pelures de banane en gaz naturel liquéfié pour les camions.

À ce jour, l’usine n’a pas produit une seule goutte de gaz naturel liquéfié. Elle veut maintenant se tourner vers le gaz comprimé, parce que c’est ce que le marché veut, finalement. Mais pour cela, elle attend encore l’argent du gouvernement, le vôtre, pour y arriver.

Si l’usine traite heureusement vos matières putrescibles en les brûlant, elle ne remplit pas ses objectifs économiques et cumule un déficit qui est inconnu… parce que l’organisation qui la gère refuse à ce jour de fournir les états financiers, étant donné qu’un des actionnaires minoritaires est une entreprise privée.

Les citoyens du Kamouraska, des Basques, de Rivière-du-Loup, de la Mitis et de la Matapédia ont accepté joyeusement d’y participer. De toute manière, ils doivent détourner leurs déchets de table des sites d’enfouissement d’ici 2022.

C’était un projet à l’avant-garde et unique. Prometteur aussi. Surtout, pas besoin de se construire une plate-forme de compostage ou de trouver d’autres idées. Une solution sur un plateau d’argent. En plus, qui dit non à un projet annoncé en grande pompe par le premier ministre du Canada ET le premier ministre du Québec?

S’ils avaient su…

L’usine vient de frapper un mur. Financièrement, elle n’y arrive plus, car elle ne reçoit pas assez de matière, en plus de ne pas faire d’argent avec un gaz qu’elle n’est pas parvenue à produire.

Le problème, c’est que 70 % à 75 % des matières se retrouvent encore à l’enfouissement. C’est sans compter ceux qui compostent à la maison plutôt que d’envoyer les précieuses matières à l’usine. Est-ce que cela aurait pu être prévu? Est-ce qu’on aurait pu faire autrement?

Les citoyens viennent d’apprendre qu’il leur en coûtera plus de 300 % plus cher pour qu’on s’occupe de leurs bacs bruns, et ce, dès 2020. Les municipalités ne seront plus facturées au tonnage, mais pour chaque citoyen censé utiliser le bac brun (alors qu’on sait très bien que plusieurs compostent à la maison et font leur part autrement, l’objectif ultime, rappelons-le).

À moins de prendre l’argent des éoliennes ou d’annuler des projets, je vois mal comment une municipalité peut gérer cette crise sans refiler la facture directement à ses payeurs de taxes.

S’attaquer aux porte-feuilles des gens a le mérite de les réveiller. Parfois, cela peut même donner de bons résultats.

Par exemple, à Beaconsfield, le citoyen paye pour ses vidanges « ordinaires » selon la grosseur de son bac vert et pour le nombre de fois qu’il le met au chemin. Moins il l’utilise, plus il garde d’argent dans ses poches. Le bac brun est donc devenu pas mal plus alléchant. Si la mesure ne fait pas l’unanimité, elle a eu le mérite d’amener des conséquences directes, sans faire sortir une cenne des poches des citoyens.

Revenons à notre région. Je ne pense pas qu’augmenter la facture de plus de 300 % convaincra les citoyens récalcitrants qui gardent leurs bacs bruns dans le fond de la cour de l’utiliser. Et pire encore, on ne les menace même pas que ça va un jour leur coûter plus cher, on ne leur donne juste pas le choix, à moins de deux mois d’échéance.

Surveillez cela de près, car c’est ainsi que ce sera présenté : si tout le monde utilise son bac brun, il y aura moins de vidanges au site d’enfouissement, donc ce sera moins coûteux pour ce qui est des poubelles « ordinaires ». Ceci « annulera » par la bande l’augmentation salée.

Tout ce que ça me donne, c’est le goût de composter toute seule comme une grande à la maison. La SÉMER, qui gère l’usine, doit rapidement adapter son message et ce n’est pas en mettant un couteau sur la gorge de ses clients qu’elle va y parvenir.

L’innovation a un prix, mais ce prix commence à être pas mal trop élevé pour quelques dizaines de milliers de personnes.