Nos dirigeants mondiaux ne cessent de faire des comparatifs entre la bataille que nous menons actuellement contre la COVID-19 et un conflit armé comme l’humanité en a connu, jadis. François Legault a mentionné cette semaine qu’il s’agissait de « la plus grande bataille de notre vie! » Mais le président de la France Emmanuel Macron est assurément celui qui a été le plus direct en répétant à six reprises, dans son adresse à la nation du 17 mars : « Nous sommes en guerre! »
L’armée n’est pas encore débarquée dans les rues. Tout ce qu’on aperçoit c’est quelques policiers ici et là qui surveillent les attroupements de gens de plus de cinq personnes.
Aussi bien dire que pour le commun des mortels, cette impression de « guerre » est difficile à saisir. Pour le moment, avec toutes ces entreprises forcées de fermer et ces chômeurs qui se multiplient de façon exponentielle à chaque semaine qui passe, la crise de la COVID-19 a plutôt l’allure d’une Grande dépression 2.0 que de la Troisième Guerre mondiale.
Mais en fait, c’est plutôt les deux. Oui nous en sommes en crise économique, mais oui nous sommes aussi en temps de guerre par le contrôle de l’information qu’exerce actuellement le gouvernement sur ses institutions et auquel vos journalistes régionaux sont de plus en plus confrontés à l’heure actuelle.
Elle est belle la transparence du premier ministre Legault et de son équipe lors des points de presse quotidiens de 13 h à Québec, et tant mieux si certains journalistes ont la chance d’adresser directement leurs questions à ceux qui sont pratiquement les seuls à avoir le mandat d’informer au mieux la population en cette période de crise. Mais en dehors de Québec, point de salut. Faire de l’information régionale est devenu un véritable chemin de croix.
Et pourtant, il y a à peine une semaine, le premier ministre Legault ne cessait de marteler que les médias sont essentiels. Pour jouer les perroquets de l’État ou parler des arcs-en-ciel dans les fenêtres, peut-être, mais en dehors de ça, nous sommes plutôt en train de devenir des outils « essentiels » de propagande gouvernementale.
Les exemples vécus par l’équipe journalistique du Placoteux, et j’imagine, d’autres médias bas-laurentiens au cours de la dernière semaine, en témoignent. Les porte-parole habituels de nos institutions régionales nous ont tous communiqué directement, ou à mots couverts qu’ils ne pouvaient nous confirmer des informations pourtant d’intérêt public, selon moi, parce qu’ils se devaient de se plier à des directives ministérielles les forçant à se taire, tant et aussi longtemps qu’ils n’auraient pas le feu vert de leur part pour les communiquer.
À la Sûreté du Québec, par exemple, impossible de savoir précisément, chiffres à l’appui, s’il y a plus d’interventions policières ou d’appels de délations depuis la mise en place des mesures restrictives de confinement et de rassemblement par le gouvernement. Les responsables des communications en région ont reçu comme directive de Montréal de ne pas accorder d’entrevue en lien avec la COVID-19.
Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, le directeur de la santé publique, le Dr Sylvain Leduc, devait se plier à la directive du ministère de la Santé et des Services sociaux de ne pas dévoiler le décès attribuable au COVID-19 dans la région. En point de presse téléphonique mercredi après-midi, le pauvre devait se démener comme un diable dans l’eau bénite à ne pas confirmer ni infirmer la nouvelle, alors qu’il était bombardé de questions par les journalistes régionaux. C’est finalement le Ministère lui-même qui a dévoilé l’information le jour même, en début de soirée.
Vendredi matin, c’était maintenant au tour de la responsable des communications du CISSS d’envoyer un communiqué dans lequel l’adresse de la clinique de dépistage du COVID-19 à La Pocatière était volontairement omise, alors que c’était un secret de polichinelle comme quoi celle-ci allait avoir pignon sur rue au Centre Bombardier. Encore une fois, la directive du Ministère est de ne pas dévoiler l’adresse, comme c’est le cas dans les grands centres, afin d’éviter une affluence inutile de gens qui n’ont pas à être dépistés. Comme si ce type d’information allait rester confidentielle bien longtemps dans un petit milieu comme le nôtre!
En temps normal, il serait facile d’attribuer ce contrôle de l’information de nos gouvernements à sa méconnaissance habituelle de la réalité des régions et à son désir malsain de toujours tout vouloir centraliser à Québec ou Montréal. Mais comme il fait lui-même allègrement référence à la « guerre » lors de ses sorties médiatiques, il devient difficile de ne pas pousser l’analogie plus loin avec la façon dont l’information est actuellement contrôlée. Espérons seulement que ces quelques dérapages demeureront anecdotiques et que le gouvernement se rappellera que s’il désire gagner la « guerre », il serait peut-être bon qu’il nourrisse équitablement tous ses « alliés ».