Paul St-Pierre Plamondon a fait trembler la médiasphère la semaine dernière, en affirmant que le prochain référendum, qu’il promet de tenir d’ici une décennie, serait la dernière chance de survie du Québec français. Ces propos alarmistes lui ont attiré les foudres de nombreux commentateurs. A-t-il raison? A-t-il tort?
Il y a beaucoup de bonnes raisons de faire du Québec un pays. La première est que le Québec répond tout à fait aux critères qui définissent un pays souverain : nation, langue et territoire. Nous sommes une nation distincte, même le reste du Canada le reconnaît. Nous parlons une langue qui nous est propre, forgée par presque 500 ans de pratique et de résistance à l’assimilation. Cette langue, d’ailleurs, n’intéresse pas du tout le reste de nos concitoyens canadiens, à part quelques résistants dont la lutte est admirable. Quant au territoire, l’ONF regorge de films qui montrent comment la colonisation y a ancré ce peuple importé d’Europe. Nous avons appris à la dure, souvent grâce au soutien de ceux qui y étaient avant nous, et depuis des millénaires.
Il y a un dernier critère pour définir un pays : la gouvernance. C’est peut-être celui qui me parle le plus. Je suis de ceux qui pensent que les humains peinent à gérer ce qui est trop gros. Je préfère les petites entreprises locales aux multinationales apatrides, et je suis convaincue qu’un petit pays peut mieux décider de ce qui est bon pour lui, simplement parce qu’il y a moins de monde pour faire dévier les conversations. Là aussi, nous répondons à la définition. Même à notre échelle de province fédérée, nous avons réussi à nationaliser l’électricité, à nous doter d’une charte des droits, à légaliser l’aide médicale à mourir, nous réussissons même à nouer des relations avec d’autres pays chaque fois que c’est possible.
Chat échaudé
Quand René Lévesque nous a proposé — calmement, pacifiquement et intelligemment — de concrétiser légalement ce que nous étions déjà de fait, un pays, nous avons rêvé avec lui, parce que René était convaincant. Nous avons rêvé, mais nous avons voté non quand même.
Quinze ans plus tard, Jacques Parizeau a mis des arguments économiques dans la balance. Son approche était plus pragmatique, mais on a dit non quand même, de justesse. Complots fédéralistes ou pas, le résultat est que nous avons dit non.
Deux fois, nous nous sommes refusés à nous-mêmes, et nous en sommes encore sonnés. Le narratif souverainiste est disparu de nos radars. On n’en parle plus, comme on cache une maladie honteuse ou un traumatisme insupportable. Pauline Marois a bien tenté de ranimer la flamme, et Pierre-Karl Péladeau après elle, pas longtemps, mais le vent de la désillusion soufflait trop fort, et le feu n’a pas pris.
Aujourd’hui, un nouveau sauveur est né. Paul St-Pierre Plamondon est surgi de nulle part avec un charisme et une conviction qui forcent l’admiration. Les plus désabusés le regardent aller avec intérêt, surpris de voir qu’un homme si jeune puisse ramener notre vieux rêve dans l’actualité. On se prend à imaginer que c’est peut-être possible, après tout.
Faire peur au monde
Les deux premiers référendums ont échoué parce que nous avons cédé à la peur. Les Trudeau, Chrétien et consorts ont réussi à persuader un bon nombre d’entre nous que le monde s’écroulerait sous un Québec indépendant. Pauvreté, famine, déclin de la civilisation — j’exagère, je sais, mais à peine —, rien ne nous a été épargné, et on a su jouer sur notre insécurité pour nous faire pencher du bord qu’il fallait, celui du statu quo.
Se souvenant de cela, est-ce vraiment une bonne idée pour le chef du PQ de brandir le spectre de la peur de disparaître pour nous convaincre de remonter dans le manège de l’autodétermination? Alors que Lévesque faisait confiance à l’intelligence de son peuple, St-Pierre Plamondon choisit d’utiliser les outils du fédéral, la démagogie et le catastrophisme. Ça mérite réflexion.
Une autre voie
Au-delà même de ces considérations, j’aimerais poser une question un peu plus vaste : sommes-nous condamnés à répéter ad nauseam l’exercice du référendum et de ses campagnes contradictoires, où l’intelligence se dissout dans la propagande et les slogans percutants?
Il existe une autre façon de faire. Elle a été nommée par de nombreux penseurs d’ici, dont Benoît Pelletier, Robert Cliche, et notre Roméo Bouchard local lui-même, particulièrement dans son livre Constituer le Québec. Ils ne sont pas d’accord sur tout, mais chacun porte le même message : un pays ne s’impose pas par le haut, il se forge par le peuple. Et il commence par une constitution.
Puisque nous n’avons pas encore signé celle du Canada, pourquoi ne pas étudier sérieusement l’idée de former une assemblée constituante qui nous soit propre, qui établirait en amont les bases du pays à venir, avec nos couleurs, nos convictions, nos aspirations à nous? Un texte qui affirmerait ce que nous sommes, où nous voulons aller, et comment nous entendons y aller. Qui ouvrirait nos bras à tous ceux qui occupent ce territoire, et qui parfois composent eux-mêmes des nations millénaires dont il faudra tenir compte. Un texte qui viendrait de nous, et qui serait un formidable levier pour les actions qui suivront.
Cette constitution québécoise devra être pensée et rédigée par le peuple lui-même, pas par les classes politiques qui travaillent trop souvent avec pour seule perspective de conserver le pouvoir si chèrement acquis. C’est un exercice ardu, mais libérateur, qui nous forcerait à nommer clairement ces « valeurs québécoises » dont on se gargarise à gauche comme à droite, au gré des idéologies. C’est aussi un exercice d’autonomisation, de prise en charge concrète de notre destin, qui pourrait balayer nos peurs.
Rédiger notre propre constitution est le premier pas vers l’autonomie. Elle replace notre démarche collective dans sa voie véritable, celle d’exprimer à la face du monde le peuple que nous sommes, simplement, sans hargne et sans rancune. Et elle pourrait bien être cet élan que cherche Paul St-Pierre Plamondon, et qu’il ne trouvera jamais dans les menaces d’annihilation.
Le Québec a maintenu sa culture contre vents et marées, malgré les Lord Durham et les Speak White. Il ne sera pas noyé dans le multiculturalisme, précisément parce que nos racines francophones et latines sont fortes, et parce que nous y tenons. Si nous cédons à la peur, il n’y a pas d’audace possible.