Loin d’être aussi répandue qu’en Montérégie ou dans les Cantons-de-l’Est, la viniculture est pourtant bien implantée dans Kamouraska—L’Islet depuis une bonne vingtaine d’années. Véritables pionniers, les rares passionnés qui s’y adonnent travaillent d’arrache-pied à l’enrichissement de notre terroir régional dans l’adversité climatique la plus totale. En cette saison des vendanges, Le Placoteux dresse le portrait de trois de ces entreprises en voie d’atteindre la maturité de ces grands crus qui font saliver.
Ne vous méprenez pas. Roland n’est pas le nom d’un synthétiseur tout droit sorti des années 80, mais le nom d’un raisin découvert par hasard en 2001 à La Pocatière, par l’enseignant en horticulture maraîchère et fruitière nouvellement retraité de l’ITA Roland Boisvert. Ce semis spontané qui s’était développé fort vigoureusement à l’écart des autres vignes qu’il avait lui-même bouturées et plantées l’année précédente avait alors été le seul conservé par l’enseignant à la retraite.
Ce raisin vert avec pépins s’est dévoilé pour la première fois à l’été 2003. Outre son côté hâtif – il peut être récolté dès septembre – et sa capacité à bien résister au climat de l’Est-du-Québec, le Roland, comme il fut finalement baptisé en 2007, a l’avantage d’offrir un taux de sucre à faire rougir les autres cépages rustiques poussant aujourd’hui dans l’Est-du-Québec. « C’est son gros point fort. Pour ceux qui veulent l’utiliser pour faire du vin, ils n’auront pas besoin d’ajouter de sucre », mentionne Roland Boisvert.
Le Recul
Toujours pas homologué, le Roland semble se propager encore à la vitesse d’un secret bien gardé, même si son découvreur avoue qu’il en pousse désormais dans toutes les régions du Québec. Dans Kamouraska—L’Islet, seul Samuel Lavoie semble avoir flairé la bonne affaire. Depuis une douzaine d’années, le vigneron a planté plus de 16 500 vignes sur les terres de la ferme familiale Le Raku à Saint-Germain-de-Kamouraska, dont 5000 Roland, le principal cépage de ses dix variétés cultivées.
S’avançant vers le littoral à partir d’un plateau entouré de cabourons, les vignes du Raku sont cultivées biologiquement et se nourrissent non seulement d’une vue spectaculaire sur le Saint-Laurent, mais d’une certaine chaleur de ses eaux qui retarde les gelées d’automne. Les cabourons, quant à eux, bloquent le nordet du printemps qui nuit trop souvent au début de la période de croissance des plantes.
« Avant de me lancer, les gens me disaient que j’avais un microclimat pour la vigne », raconte Samuel Lavoie.
Ils avaient visiblement raison, car si le Roland a trouvé au Raku un cadre idéal pour s’épanouir, d’autres cépages, européens (vitis vinifera) cette fois-ci, dont le chardonnay, arrivent à livrer quelques grappes au vigneron moyennant un recouvrement sous des tunnels de polythène pour compléter le mûrissement des fruits en fin de saison. Utilisés dans ses assemblages avec le Roland, notamment, ces vitis vinifera viennent ajouter un peu de texture à ses bouteilles, au nombre de 3000 par année, qu’il commercialise sous le nom Le Recul (NDLR : Raku veut dire Recul en jargon local) principalement dans les épiceries fines et auprès des restaurateurs. D’ici deux ans, il désire faire passer ce chiffre à 9000 bouteilles par an.
En attendant, Samuel Lavoie ne semble pas se voir comme l’ardent défenseur d’un terroir régional en développement avec le raisin le Roland. Continuer à faire des bons vins de qualité, en équilibre avec la nature, serait plutôt son objectif principal, avoue-t-il. Et bien entendu, travailler de concert avec Roland Boisvert pour faire homologuer sa découverte, question qu’il ne se la fasse pas « voler. »