J’ai fait mon jardin!

Photo : Jonathan Kemper (Unsplash.com)

Faire son jardin, c’est bien sûr s’assurer de légumes frais en saison, mais c’est surtout participer au miracle de la vie. C’est un rituel de la vie et des saisons qui nous vient de nos ancêtres.

J’ai été étonné, quand je suis arrivé au Kamouraska, de constater que c’était beaucoup les hommes qui jardinaient. Au Lac-Saint-Jean, d’où je viens, c’était réservé aux femmes, et c’était à qui aurait le plus beau jardin… et des tomates rouges avant les gelées!

Les gelées étant enfin derrière nous, du moins je l’espère — j’écris le 25 mai —, j’ai même mis en terre, avant la date fatidique du 1er juin selon les gens de Saint-Germain, mes plants de tomates, piments, laitues et cerises de terre, que je dorlotais depuis la mi-mars dans mes fenêtres, puis dans une cage de polythène où ils ont eu un peu froid.

Ils étaient un peu inquiets de se retrouver au grand air, même protégés du vent par de vieilles cannes, comme autrefois, mais ce matin ils ont le nez en l’air. Déjà, les pois, les patates et les gourganes sont sortis de terre.

J’utilise plusieurs semences rustiques qu’on m’a données lors de mes tournées pour l’Union paysanne, et que je récolte moi-même, mais j’ai abandonné certains légumes comme les choux, et malheureusement les carottes, car des insectes inconnus les dévorent et je ne me résous pas à faire un jardin de plastique pour les en empêcher, comme font les jeunes maraîchers.

Et comme il n’y a plus de fumier naturel et que nous méthanisons nos déchets, je confesse avoir acheté du compost de fumier de poulet conventionnel (Fertilo, Actisol)!

Le monde entier est dans mon petit jardin. Dans ces minuscules graines, capables de se nourrir de la terre et de la lumière du soleil, et capables de produire des quantités impressionnantes de légumes tous différents les uns des autres pour nous nourrir, il y a toute la puissance, la beauté et l’intelligence du monde. Pas besoin d’aller plus loin : le grand mystère de la vie et du monde se produit sous nos yeux, nous le touchons.

En même temps, je ne puis m’empêcher de penser au temps des semences, à l’époque où j’étais agriculteur. Quand mes champs étaient égouttés, labourés, « diqués », hersés, semés et roulés, je me disais : « Et s’il ne poussait rien ? » Mais six matins plus tard, infailliblement, le miracle se produisait. En montant traire les vaches, je voyais les petites rangées vertes d’avoine, d’orge et de blé.

Aujourd’hui, les semences se font à un train d’enfer. Des plantes énergivores destinées aux animaux, comme le maïs, ont largement remplacé l’avoine pour nourrir les chevaux et le blé pour nourrir les humains.

Les semences sont génétiquement modifiées, les fumiers sont liquides, les engrais sont chimiques, le drainage est souterrain, les champs se sont transformés en déserts à perte de vue, où il n’y a plus ni arbres, ni sources, ni fossés, ni roches, ni oiseaux, où les goélands ne suivent plus les tracteurs qui retournent la terre parce qu’il n’y a plus de vers de terre, et où l’eau potable de nos puits se gonfle chaque jour un peu plus de nitrates et de saloperies.

Et les Moreau ne tendent plus de pièges aux rats musqués dans les fossés et les décharges. Les temps ont changé et je ne suis pas sûr que ce soit pour le mieux!