Un simple anneau en bois déposé dans une cuve de fermentation, qui a le pouvoir de faire de chaque bière un brassage unique; nous ne sommes pas dans Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien, mais plutôt dans une vieille technique brassicole norvégienne expérimentée depuis deux ans par Jérémie Tremblay de La Baleine endiablée. Et si la microbrasserie riveloise tenait entre ses mains le Saint-Graal de la bière?
Jérémie Tremblay n’a pas peur d’expérimenter. À l’instar d’autres microbrasseurs québécois, il s’amuse à créer de nouvelles recettes de bière — plus de cent en trois ans! — qui séduisent chaque fois les palais les plus novices et les plus exigeants du monde de la bière.
Depuis deux ans, il pousse ses expérimentations encore plus loin par l’usage d’un kveik ring, ou anneau de levure norvégien. Cette technique brassicole ancestrale norvégienne a été redécouverte par des anthropologues et historiens brassicoles comme Lars Marius Garshol et le québécois Martin Thibault, alors que Jérémie Tremblay faisait ses premiers pas dans le domaine brassicole.
La technique consiste à déposer un anneau de bois — en érable dans le cas de Jérémie — dans la cuve lors du brassage de la bière. L’anneau remplace en quelque sorte les levures qu’on ajoute habituellement lors du processus de fermentation de la bière. Le même anneau peut ensuite être réutilisé d’un brassage à l’autre. « C’est comme si on avait notre propre levain maison », explique Jérémie.
Avantages
Bien que des anneaux de ce type se transfèrent de génération en génération en Norvège, et cela depuis des siècles, la technique du kveik ring semble être utilisée de façon très marginale de ce côté-ci de l’Atlantique. Son usage, s’il se répand, pourrait néanmoins révolutionner le domaine de la microbrasserie, de l’avis de Jérémie Tremblay.
Le kveik ring offre plusieurs avantages. Il limite d’une part les intrants en levain, ce qui diminue les coûts de production de la bière. Il accélère également la fermentation, qui peut se faire en trois jours au lieu de deux à trois semaines en temps normal. « Pour une petite microbrasserie comme la nôtre, qui ne dispose pas de grosses cuves de fermentation, c’est majeur », indique le microbrasseur.
À cela s’ajoute la possibilité d’atteindre un degré d’alcool plus élevé — entre 15 et 17 % —, sans parler de la température de la cuve qui peut facilement monter jusqu’à 45 °C, tout cela lors du processus de fermentation, ce qui serait impensable à tolérer avec les levures traditionnelles selon Jérémie Tremblay. « La fermentation crée de la chaleur; contrôler ce paramètre est la clé pour faire de la bonne bière. Là, on a de la marge pour travailler. »
La réutilisation de l’anneau le rend aussi unique en soi, puisque chaque brassage le fait évoluer. Répliquer la même bière devient donc impossible. À titre d’exemple, La Baleine endiablée a déjà brassé 12 bières avec son anneau d’érable. Chaque bière porte les noms V1 jusqu’à V12, et aucune ne se ressemble. Jérémie Tremblay pourrait ainsi brasser un nombre de bières infini avec son kveik ring, jusqu’à sa retraite, pour ensuite le léguer à une relève, avec l’assurance qu’il n’y en aura jamais deux pareilles.
« C’est fascinant comme technique, mais ça demande quand même de l’expérimentation pour en arriver à quelque chose de stable », avoue celui qui a déjà jeté deux brassins entiers en raison d’un résultat jugé insatisfaisant. Il n’en demeure pas moins que Jérémie Tremblay serait à l’heure actuelle le seul au Québec à utiliser un kveik ring de façon professionnelle pour certains de ses brassages.
« Ça demeure quand même une approche contre-intuitive pour un brasseur. Envoyer un morceau de bois dans ta bière, ce n’est pas la norme. Je comprends pourquoi ce ne sont pas tous les brasseurs qui veulent embarquer là-dedans. »
Reconnaissance
Aussi marginales soient-elles encore, les expérimentations de Jérémie Tremblay avec le kveik ring se diffusent, tranquillement mais sûrement, dans le milieu brassicole. L’an dernier, il les évoquait pour la première fois lors d’une baladodiffusion à laquelle il était invité.
Récemment, c’était au tour du microbiologiste réputé Richard Preiss, cofondateur et directeur d’Escarpment Laboratories en Ontario, qui lui demandait d’écrire un article de blogue sur cette méthode de brassage inhabituelle. Intitulé Comme des vœux renouvelés, l’article rédigé en anglais a été publié le 16 mai dernier sur le site d’Escarpment Laboratories.
« Qu’un gars comme lui m’écrive personnellement pour que je rédige un article, ça me donne de la crédibilité et de l’assurance dans ce que je fais. Mais ça ouvre également les esprits à toutes les techniques de fermentation alternatives. D’autres articles comme le mien doivent suivre sur le blogue d’Escarpment Laboratories », conclut le microbrasseur.