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L’abbé Yvan Morin : une vie de foi et de dévouement

Dans sa chambre, l’abbé Morin consacre une bonne partie de ses journées à la prière et la lecture. Photo :  Marc Larouche 

L’abbé Yvan Morin est une figure incontournable dans la région. L’homme, qui a exercé son sacerdoce durant 68 ans, a vécu les transformations sociales et religieuses du Québec. Il a marqué des générations par sa présence chaleureuse et son engagement indéfectible.

Dans cette grande entrevue, il revient sur son enfance modeste à Sainte-Hélène-de-Kamouraska, sur son appel à la prêtrise, sur ses années marquantes au foyer Patro de Rivière-du-Loup et comme curé de Saint-Pascal. Avec humilité, il partage les défis du sacerdoce, les joies du service pastoral, et sa réflexion sur les grands changements qui ont façonné l’Église et la société.

À 93 ans, toujours aussi lucide et passionné, l’abbé Morin nous ouvre une fenêtre sur une vie bien remplie, portée par la prière, la lecture et un profond attachement à sa communauté. Voici un témoignage riche en histoire et en humanité.

Le Placoteux : Vous êtes installé au Pavillon des Cèdres de Rivière-du-Loup depuis quelque temps. Comment trouvez-vous votre nouvelle résidence?

Yvan Morin : Depuis le 1er novembre. Je trouve ça bien, la nourriture est bonne, le personnel est accueillant. Je n’ai pas à me lamenter, je suis bien. Cela dit, si le presbytère avait encore été là, c’est sûr que j’y serais resté. Je suis ici par obligation, pas par choix ou par désir. À mon âge, et comme je ne sais pas cuisiner, il fallait bien trouver une solution.

LP : Cela me rappelle une époque où les presbytères avaient des cuisinières. Vous avez connu cette période?

YM : Oui, absolument! À Rivière-du-Loup, par exemple, nous avions une cuisinière au presbytère. Nous étions jusqu’à cinq prêtres à y vivre. J’ai toujours vécu avec d’autres, je n’ai jamais été seul dans un presbytère. C’est d’ailleurs ce que j’ai trouvé difficile dans les dernières années, quand je me retrouvais seul dans ma chambre, après le départ des cuisinières. Heureusement, j’ai eu une cuisinière jusqu’à la toute fin. Elle est partie le lendemain de mon départ.

LP : Quel était votre plat préféré?

YM : Oh, je ne suis pas compliqué! Mais je dirais que j’aimais particulièrement les crêpes.

Une enfance marquée par la pauvreté

LP : Parlez-moi de votre enfance…

YM : Je suis né dans le 4e Rang  Ouest, à Sainte-Hélène-de-Kamouraska, en 1931. J’étais le 13ᵉ d’une famille de 17 enfants, bien que deux soient décédés en bas âge. Aujourd’hui, je suis le seul survivant. Mon enfance a été marquée par la pauvreté. Mon père était cultivateur sur une petite terre, et nous devions nous débrouiller avec peu.

LP : Qu’est-ce que cela signifie, grandir dans la pauvreté?

YM : Je peux vous donner un exemple : je n’ai porté des chaussures que lorsque j’ai commencé l’école, à six ans. Avant cela, nous étions pieds nus. Pourtant, nous ne manquions jamais de nourriture. Grâce à notre terre, nous avions toujours à manger. Mes parents ont fait des choix difficiles, mais ma mère a travaillé sans relâche pour élever ses 15 enfants. Elle est décédée à 61 ans, complètement épuisée.

LP : Vous êtes le premier de votre rang à avoir obtenu un diplôme de septième année. Que représentait cet accomplissement?

YM : À l’époque, c’était comme obtenir un baccalauréat. Dans mon rang, personne avant moi n’avait atteint ce niveau d’éducation. C’était une grande fierté pour mes parents. J’ai pu faire mes études classiques à l’école apostolique de Lévis, puis au Collège de l’endroit, grâce au soutien de deux bienfaiteurs. C’était un privilège rare pour un jeune de mon milieu. Mon père n’aurait jamais pu financer mes études.

LP : Quand avez-vous ressenti l’appel de Dieu?

YM : Vers 11 ou 12 ans. J’étais très attaché à la prière et aux dévotions. Je crois que l’appel de Dieu a toujours été présent en moi. J’étais un enfant comme les autres, élevé dans une grande famille où la prière faisait partie de notre quotidien. J’ai réellement commencé à ressentir quelque chose de différent. C’était une impression, une sorte de certitude tranquille, que Dieu avait un plan pour moi.

Je me souviens des moments où je priais seul, dans un coin tranquille de notre maison. Je ressentais une paix profonde, une connexion que je ne savais pas encore expliquer à l’époque. C’est dans ces moments-là que l’idée du sacerdoce a commencé à germer. Ce n’était pas un éclair ou une révélation soudaine, mais plutôt un murmure constant, une voix douce qui me guidait.

En regardant en arrière, je vois combien ces années ont forgé ma vocation. Je ne peux m’empêcher de penser que tout cela faisait partie de Son plan, qu’Il m’a guidé à chaque étape pour que je puisse répondre à Son appel. Aujourd’hui, après des décennies de sacerdoce, je porte toujours cette conviction au fond de moi que j’ai suivi la voie qu’Il avait tracée pour moi.

LP : Vous avez été ordonné prêtre à l’âge de 25 ans. Quels souvenirs gardez-vous de cette période?

YM : J’ai été ordonné le 26 mai 1956, après huit ans d’études classiques et quatre ans au Grand Séminaire de Québec. Je n’ai jamais douté de ma vocation. Être prêtre, c’est un engagement de toute une vie, et je n’ai jamais regretté mon choix.

LP : Où avez-vous commencé votre ministère?

YM : Mes deux premières années ont été au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Par la suite, j’ai étudié en pédagogie et en psychologie à l’Université de Montréal. Puis, j’ai été nommé à Rivière-du-Loup pour travailler au foyer Patro (l’ancêtre du Cégep), alors un pensionnat pour 200 jeunes âgés de 14 à 18 ans. J’ai été directeur des élèves et supérieur des prêtres.

LP : Comment avez-vous vécu ces années au foyer Patro?

YM : Ce furent des années très exigeantes. Nous avions de jeunes pensionnaires à occuper et à encadrer, ce qui impliquait de longues heures de travail. Nous arrosions les patinoires, organisions des activités sportives, et veillions à leur formation. Ces années ont été marquées par un grand respect pour la religion, mais aussi par le début de grands changements dans la société.

LP : Que voulez-vous dire?

YM : Le premier règlement que j’ai écrit pour les élèves du foyer Patro, après cinq ans, je le reniais. C’était extrêmement strict, presque autoritaire. Il y avait des règles très précises sur les sorties à l’extérieur, le comportement religieux et les activités internes. Je me trouvais imbécile d’avoir écrit un tel règlement pour encadrer les élèves. C’était beaucoup trop rigide.

LP : Au même moment, il y avait les grands changements du Concile Vatican II?

YM : Ces réformes ont marqué un tournant important. L’Église est devenue plus respectueuse de la liberté de conscience et des gens. Elle n’imposait plus ses règles de manière rigide. Aujourd’hui, je respecte davantage l’Église, car elle accompagne les gens au lieu de leur dicter leur conduite.

LP : Qu’est-ce qui vous a amené à changer ce règlement?

YM : Avec le temps, je me suis rendu compte que ce règlement ne correspondait plus à l’évolution des mentalités. Le Concile Vatican II avait amené un vent de renouveau dans l’Église, et la Révolution tranquille transformait aussi la société québécoise. J’ai compris que je m’étais trompé. Je vais même dire que je me trouvais un peu « niaiseux » d’avoir cru que de telles règles étaient nécessaires.

LP : Comment avez-vous vécu ce changement?

YM : Ça n’a pas été facile. Il faut une certaine humilité pour admettre qu’on a fait fausse route. Mais j’ai revu le règlement, et je l’ai adapté. Je suis devenu plus souple, plus à l’écoute des jeunes et de leurs besoins. Ce changement m’a aussi transformé comme prêtre. Aujourd’hui, je crois que ce respect de la liberté individuelle est un des plus grands acquis de cette période.

LP : Avec le recul, comment voyez-vous cette expérience?

YM : Elle m’a appris à évoluer avec mon temps. Je crois que c’est important de savoir reconnaître ses erreurs, de se remettre en question et de s’ajuster. Ces années au foyer Patro m’ont permis de grandir, autant comme prêtre que comme individu. L’Église était trop rigide. Nous vivons encore des séquelles aujourd’hui. Des jeunes entendent leurs grands-parents parler de leur vie, et ils n’en reviennent pas qu’ils aient été aussi influencés par cette Église qui était un peu trop imposante.

LP : C’était l’époque où il y avait entre autres un enfant après l’autre?

YM : Oui, dans la plupart des familles de ce temps-là, c’était des familles de 10, 12 enfants habituellement. Les familles nombreuses étaient la norme, et l’autorité, qu’elle soit parentale, gouvernementale ou religieuse, pesait lourdement sur les individus. Mais cela a changé avec le temps.

LP : Que se passe-t-il lorsqu’on est en désaccord avec une directive officielle de l’Église?

YM : Il y a eu des moments où les gens ont pris leur liberté. Ils n’ont pas nécessairement défié directement l’autorité, mais ils ont mis en doute certaines demandes de l’Église officielle. Même l’Église elle-même a changé. L’Église dans laquelle je vis aujourd’hui n’est pas celle de mon enfance.

LP : Est-ce que cette transformation est meilleure, selon vous?

YM : Je la respecte beaucoup plus, je l’aime davantage aujourd’hui. Elle est plus respectueuse de l’être humain. J’aime plus l’Église d’aujourd’hui que celle de mes 15 ans.

LP : Revenons au foyer Patro. Vous y êtes resté plusieurs années, avant d’être transféré à Saint-Pascal?

YM : Oui, après mes années au foyer Patro et au cégep, j’ai été nommé curé à Saint-Pascal. J’étais relativement jeune, c’était une belle paroisse, j’ai eu la chance d’être nommé tout près de Rivière-du-Loup et de ma paroisse natale, ce qui facilitait les choses. J’étais privilégié. J’étais le 13e curé de Saint-Pascal, et le 13e de ma famille. Contrairement à la croyance populaire, ce chiffre a été chanceux pour moi!

LP : Comment avez-vous vécu vos 14 années à Saint-Pascal?

YM : La population était très accueillante. C’était un milieu chaleureux où je me suis mêlé à la vie des gens. Après un baptême ou des funérailles, j’étais invité chez les gens. Ces années-là ont été parmi les plus heureuses de ma vie.

LP : Un souvenir particulier de cette période?

YM : Oui. Après les messes de minuit à Noël, avec un autre jeune prêtre, l’abbé Martin Cloutier, nous visitions plusieurs familles. Nous passions 30 à 45 minutes chez chacune avant de retourner au presbytère vers 5 h 30 ou 6 h du matin. Ces visites étaient très enrichissantes, et pleines de chaleur humaine.

LP : Après Saint-Pascal, vous êtes retourné à Rivière-du-Loup où vous êtes aussi resté 14 ans comme curé

avant de prendre votre retraite…

YM : Oui, et c’est particulier parce qu’habituellement, un prêtre change de place après avoir servi longtemps dans une paroisse. Mais je suis peut-être l’exception à la règle, on ne m’a pas proposé de poste ailleurs. Je suis devenu une sorte de belle-mère dans le presbytère. J’étais toujours là pour aider. Je n’avais plus les responsabilités officielles d’un curé, mais je pouvais offrir mon expérience et mon soutien. Je participais encore à des célébrations, j’accompagnais les familles dans leurs moments importants, et je restais disponible pour les questions ou les confidences.

LP : Vous avez vu les églises se vider progressivement. Comment avez-vous vécu ce changement?

YM : Au début, c’était difficile, et on peut être nostalgique de l’époque où les églises étaient pleines. Quand je suis arrivé à Rivière-du-Loup, il y avait trois églises, et chacune célébrait trois messes de Noël, soit neuf au total le 24 en soirée. Aujourd’hui, on en célèbre deux, et probablement que l’église ne sera pas pleine aux deux occasions.

LP : Pensez-vous que ce déclin est dû aux scandales dans l’Église?

YM : Pas uniquement. C’est surtout un changement de société. La Révolution tranquille et les réformes des années 60 ont bouleversé les mentalités. Ce n’est pas seulement l’Église. Vivre au temps de Duplessis et de Jean Lesage, ça a été différent. Il y a eu tout un changement de société. Les gens ont cherché leur liberté.

LP : Y a-t-il encore de l’espoir pour l’Église?

YM : La pratique religieuse est en déclin. Seulement 5 % des gens sont des chrétiens de la prière du dimanche, mais les valeurs évangéliques comme la fraternité, le pardon, la compassion, la charité et la générosité sont encore très présentes. Beaucoup de gens, même s’ils ne viennent pas à l’église, incarnent ces valeurs dans leur quotidien. Je crois que le Christ continue de sauver le monde, mais d’une autre manière. Il ne faut pas désespérer. Je ne le suis pas.

LP : Pensez-vous que Jésus serait sur les réseaux sociaux aujourd’hui?

YM : Oui, sûrement. S’il s’incarnait aujourd’hui, il vivrait avec les moyens modernes. Mais ce serait un Jésus différent de celui des Évangiles. Il ne voyagerait pas à dos d’âne, comme à l’époque. Il trouverait des façons actuelles de rejoindre les gens.

LP : Comme vous avez utilisé la technologie pour rejoindre les gens avec la radio! Comment cela a-t-il commencé?

YM : Ça a commencé quand je suis arrivé à Rivière-du-Loup. À l’époque, plusieurs prêtres se relayaient pour présenter le mot du matin. Cependant, cela causait des problèmes à la radio lorsque certains prêtres ne pouvaient pas honorer leur engagement. Ils ont alors demandé qu’un seul prêtre assume cette tâche en continu. J’ai été choisi pour présenter ce segment, et pendant 35 ans, mes pensées étaient diffusées à la radio chaque matin.

LP : Que représentait cet exercice pour vous?

YM : Cela demandait beaucoup de lecture et de préparation. Ce n’étaient pas forcément des réflexions strictement religieuses, mais des messages universels, accessibles à tous. C’était une minute bien suivie, surtout par ceux qui commençaient leur journée tôt, comme les agriculteurs.

LP : Les gens vous parlaient de vos interventions?

YM : Oui, absolument. Je savais que ce n’était pas un travail inutile. Ces mots étaient attendus et appréciés.

LP : Vous avez arrêté récemment?

YM : Oui, mes pensées seront diffusées jusqu’au 1er janvier 2025. Désormais, le contenu sera disponible sur le site du presbytère. Je n’ai plus la résistance nécessaire pour continuer. Je suis vraiment à la retraite, ne célébrant que deux messes par mois ici.

LP : Vous êtes une figure connue. Comment les gens vous perçoivent-ils?

YM : Après 51 ans de ministère à Rivière-du-Loup, je suis forcément connu, et aussi dans le Kamouraska, en partie grâce à la radio. Les gens me saluent souvent par mon titre ou mon nom, mais je ne peux pas toujours associer un nom à chaque visage, ce qui est parfois gênant.

LP : Vous avez traversé sept Papes [Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul I, Jean-Paul II, Benoit XVI et François Premier]. Lequel correspond le plus à vos valeurs actuelles?

YM : Jean XXIII, le bon pape, m’a beaucoup marqué par son sourire, son amabilité et sa capacité de changement, notamment en initiant le Concile Vatican II. Jean-Paul II, bien qu’admirable dans son rayonnement international avec ses voyages, était plus conservateur.

LP : Comment se passe votre quotidien?

YM : Je ne prépare plus de célébrations ou de mots pour la radio. Je célèbre une messe ici dans ma chambre, en privé, et deux fois par mois dans la résidence. Je reçois de la visite de temps en temps. À 93 ans, je commence à sentir le poids de l’âge. Je marche peu et m’appuie parfois sur une canne. Bientôt, j’aurai besoin d’un déambulateur.

LP : Comment envisagez-vous votre Noël cette année?

YM : Ce sera un Noël tranquille. Je célébrerai probablement une messe privée ici dans ma chambre. Avec la disparition de mon dernier frère au printemps, il ne me reste que mes belles-sœurs à Rivière-du-Loup. Je serai sûrement invité chez l’une d’elles.

LP : Noël a toujours été un moment de rassemblement. Comment cela a-t-il changé pour vous?

YM : Autrefois, célébrer des messes de Noël dans des églises pleines à craquer était une expérience unique. Cela donnait un véritable sentiment de communauté et de famille paroissiale. Aujourd’hui, c’est différent, mais l’esprit familial reste important, surtout dans les campagnes.

LP : Que pouvons-nous vous souhaiter?

YM : La sérénité, la paix, et l’adaptation à une nouvelle vie. Par tempérament, j’ai toujours été un travailleur, et je trouve la retraite un peu difficile. Ma grande difficulté, c’est que je ne me suis pas adapté aux techniques modernes de communication. Mes journées sont rythmées par la prière et la lecture. Si je n’avais pas ces activités, ma vie serait beaucoup plus difficile.

LP : Il ne nous reste qu’à vous remercier, et à souhaiter que Dieu vous garde avec nous encore longtemps.

YM : Merci, et joyeuses Fêtes à tous!