Quoi qu’on dise ou fasse, bien que notre système électoral britannique — « démocratiquement infect », disait René Lévesque — soit un système électoral brutal qui récompense les gagnants et punit les perdants, le peuple québécois a parlé et décidé quel parti gouvernera le Québec durant les quatre prochaines années.
La politique, au fond, est une histoire d’amour. Le peuple a choisi très clairement — 41 % du vote et 90 députés sur 125 — de permettre à la CAQ de continuer le travail entrepris sur de multiples dossiers : la laïcité, l’identité québécoise et le français comme langue officielle nationale, le soutien aux plus démunis contre l’inflation, le contrôle de l’immigration, la mise à jour du système de santé, d’éducation et de prise en charge des aînés et des jeunes enfants, le contrôle de la violence, le transport collectif, la diminution de nos émissions de GES, l’utilisation de notre électricité propre, le manque de main-d’œuvre et de logements, la négociation avec les Premières nations, la préservation de la biodiversité, l’autonomie alimentaire, la santé publique, l’équilibre des finances publiques.
Ce vote est un net appui au style modéré et réaliste préconisé par François Legault et son équipe. Mais quatre autres partis, qui ont recueilli chacun plus ou moins 15 % des votes, aspiraient aussi à diriger le Québec.
La région de Montréal, où sont concentrés les anglophones, les immigrants, les élites économiques et culturelles et le vieux noyau ouvrier canadien-français autrefois péquiste, a voté majoritairement pour les Libéraux et Québec solidaire ; ce faisant, les Montréalais ont clairement affirmé leur opposition à un nationalisme dit « de repli » et leur appui au multiculturalisme canadien et à la mise en valeur de la diversité des cultures. Ils s’opposent vivement à ce qu’on mette des contraintes aux signes religieux (loi 21), à l’immigration, au choix d’étudier et de vivre dans une autre langue que le français (loi 96), et exigent qu’on s’intéresse plutôt aux inégalités sociales, au manque de logement, à l’accès à la propriété, à l’inflation, au manque de main-d’œuvre, à la crise du climat et de la biodiversité, donc aux transports électriques et collectifs, aux énergies renouvelables, à la lutte aux GES et à l’étalement urbain.
Le reste du Québec, en votant massivement pour la CAQ — et à 13 % pour le parti de Éric Duhaime —, a affiché une vision plus modérée et pragmatique des problèmes, et surtout une volonté de préserver et défendre l’identité québécoise.
On voit donc apparaître de plus en plus clairement une division entre Montréal, la grande ville multiculturelle et cosmopolite, tournée vers le monde et l’avenir, et le reste du Québec, encore relativement homogène et conservateur, qui s’ouvre lui aussi au monde et à l’avenir, mais pas au détriment de son identité nationale et du gros bon sens paysan, qui n’est pas complètement mort.
C’est, ici comme ailleurs, l’éternel conflit entre les rats des champs et les rats des villes. Pour le moment, ce sont les rats des champs qui gouvernent et l’opposition officielle sera exercée par le parti qui représente les anglophones et les immigrants anglicisés de la région de Montréal. C’est une situation qui rappelle celle qui prévalait au temps de Papineau et des patriotes, mais inversée.
C’est une situation dangereuse. Le temps semble travailler contre les rats des champs. La ville domine et les rats des villes s’imposent même dans les campagnes. La CAQ a quatre ans pour faire ses preuves et nous avons quatre ans pour trouver un nouvel équilibre entre l’ouverture à la diversité et l’affirmation de notre identité. Le mode de scrutin, on en reparlera.
Je suggère que la petite flamme de la nation et de la raison qu’a rallumée habilement Pierre St-Pierre-Plamondon ouvre la voie à une vision de la démocratie et de la citoyenneté québécoises qui nous permette de demeurer, tous ensemble, « quelque chose comme un grand peuple », ouvert sur le monde et fier de ce qu’il est devenu.