Hélène Raymond est une femme remarquable de la région que tout le Québec a, pendant des années, entendue parler d’agriculture et d’alimentation à D’un soleil à l’autre et à La Semaine verte.
Le livre qu’elle vient de publier, Portraits du Saint-Laurent : histoire des pêches et récits maritimes, est un beau livre et un grand livre : c’est à la fois une sorte d’encyclopédie illustrée et de reportage vivant sur la pêche et les pêcheurs du Saint-Laurent, de Québec jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine, en passant par le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et la Côte-Nord.
Nous oublions facilement aujourd’hui ce Québec maritime, où non seulement l’immense fleuve Saint-Laurent a servi — et sert toujours — de « chemin qui marche » dans ce pays sauvage immense, mais fut aussi la mer intérieure magique où l’on venait de partout pour s’approvisionner en poissons et en mammifères marins de toutes sortes, particulièrement la morue, le béluga, les baleines, l’anguille, l’esturgeon, le hareng, le maquereau, le capelan, le thon, le flétan, le sébaste, le homard, et plus récemment, le crabe et la crevette.
Hélène Raymond documente avec précision toute cette faune marine, les fruits de « notre mer »; elle fait l’histoire de la pêche et surtout des pêcheurs, aussi bien de ceux qui pratiquaient la pêche côtière en complément de l’agriculture, comme les pêcheurs d’ici, que de ceux qui ont sacrifié leur vie au service des barons de la morue séchée salée, comme les cupides Jersiais Robin, et de ceux qui aujourd’hui sont enrégimentés dans les bateaux-usines en haute mer, et qui achèvent de la vider.
Hélène est fidèle à son métier de journaliste radio-canadienne : son livre est moins celui d’une militante politique, qui dénoncerait la longue histoire d’exploitation sauvage des notre fleuve, qu’une description minutieuse et un récit où elle exprime son amour du fleuve et de ses habitants. Elle nous guide dans une visite sentie de notre Québec maritime. On y retrouve au passage les grandes familles de pêcheurs du Kamouraska, les Lizotte, Hudon, Ouellet, Lauzier, Madore, Malenfant, Beaulieu. Elle en parle peu, mais on ne peut ignorer que Rivière-Ouelle fut aussi un des centres d’exploitation de la chasse aux bélugas, dont on extrayait une huile très recherchée. C’est un peu choquant aujourd’hui, alors qu’on essaie de sauver les quelques centaines de bélugas qui ont survécu à ces massacres.
Le ton de l’ouvrage est bien annoncé en introduction : « La pêche est au cœur de ce pays habité par les Premières Nations, qui ont d’abord côtoyé chasseurs de baleines et morutiers téméraires… Mon fleuve d’enfance sent la marée descendante, les clapotis et la furie de ses tempêtes en marée montante. Il goûte le sel… Dans ce livre, mon Saint-Laurent va du pont de Québec jusque dans le golfe. Il est eau douce, saumâtre, salée, riches enrochées, grèves, archipels porteurs d’histoire, récits de naufrages, fascines et casiers remisés entre deux saisons de capture… Mon fleuve est aussi fait de recherches scientifiques, de pollution et d’assainissement, de luttes écologiques et citoyennes, de transformations à venir en raison de ces changements climatiques déjà bien amorcés. »
Le fleuve, ici, c’est une culture, un mode de vie, une raison de vivre, une source de vie : c’est lui qui dicte les humeurs et les saisons. C’est le roi et le confident.
Ici, c’est un pays de pêcheurs et de marins. Je vous le dis, moi qui viens d’un pays où il n’y avait pas d’horizon autre que le bois, au nord lointain du Lac-Saint-Jean, au bout du monde habité!