Sans qu’on s’en rende compte, le virus nous a permis de voir le Québec autrement.
D’abord, beaucoup ont découvert que le Québec est composé de 17 régions, ayant chacune leur personnalité, et ils ont appris à les nommer et à les situer sur la carte. Ça change tout. Tout à coup, Montréal et Québec ne sont plus seules, mais font partie d’un territoire, d’un pays, d’un peuple où chaque région a sa place et son mot à dire.
On a noté aussi que le virus se propageait beaucoup plus dans les grands centres urbains et dans les capitales et petites villes régionales, là où sont concentrés la population et les emplois. Les villes sont comme le système nerveux du Québec : les régions en sont pour ainsi dire le corps.
Les gens des villes ont réalisé qu’ils avaient besoin des régions périphériques pour aller prendre l’air et sortir de leur cage. Et les gens des régions périphériques ont constaté une fois de plus les liens familiaux, sociaux et culturels qui les relient aux villes. L’interdépendance de toutes les régions n’a jamais été aussi évidente.
Nous avons aussi pris conscience du nombre grandissant de personnes âgées au Québec et de l’insuffisance de services adaptés pour eux ; d’autre part, nos enfants, tout comme leurs parents, ont appris à apprécier l’école comme milieu d’apprentissage et de rencontre.
Au fil des jours et des conférences de presse du premier ministre, nous avons réalisé que le Québec, au-delà des chicanes politiques, est encore une grande famille, où tout le monde se connaît et est prêt à s’entraider dans l’épreuve, comme à l’époque des corvées de rang pour aider un voisin à reconstruire sa maison ou sa grange endommagée par le feu, le vent ou l’eau.
Malgré la méfiance que nous pratiquons envers la politique partisane, nous avons pu constater l’importance de l’État, de notre État national, quand vient le temps de faire face aux difficultés et à l’avenir. Le ton familier et rassurant du premier ministre, le soutien de l’État, la compétence et la générosité de nos systèmes publics de santé et d’éducation et de leur personnel, nous ont été un secours indispensable. Nous nous sommes reconnus, parlant la même langue et partageant les mêmes valeurs, avec notre lot de rebelles comme dans toute famille. Parmi les autres provinces du Canada, le Québec est apparu clairement comme une société distincte, pour le meilleur et pour le pire.
Nous avons réalisé l’importance de nos entreprises québécoises essentielles, qui ont continué à travailler malgré les dangers et les éclosions, les abattoirs : les agriculteurs, les épiceries, les quincailleries, les policiers, les camionneurs ; l’importance aussi de nos entreprises culturelles et récréatives qui nous ont cruellement manqué.
Nous avons appris à voir le Québec autrement, dans toutes ses dimensions, le pays et l’État du Québec, et nous nous sommes reconnus comme peuple unique, égalitaire et solidaire, français, capable de s’occuper de lui-même et de traiter avec les autres d’égal à égal. Nous avons pris conscience de notre identité et de notre force.
Et ce n’est pas fini : nous n’avons pas fini de redécouvrir le Québec comme pays et de nous redécouvrir comme peuple. Un Québec fait de régions réunies et une citoyenneté québécoise dans laquelle tous sont égaux. Un État national rassembleur au service de ses communautés locales et régionales.
En somme, le virus nous a peut-être fait redécouvrir la base même de la démocratie : le peuple, le territoire, les communautés locales et régionales ! C’est précieux en ces temps d’incertitude et de division.