Agrandi à 5000 km2, d’une rive à l’autre, de L’Isle-aux-Coudres (La Pocatière) jusqu’à Trois-Pistoles et Baie-Comeau, et jusqu’à Sainte-Rose-du-Nord dans le fjord du Saguenay, le Parc marin et son océan profond sont désormais sur nos rives, et les bélugas qui y vivent et les baleines qui y viennent se nourrir, plus que jamais, nos voisins.
C’est un immense privilège qu’il faut apprendre à apprécier. Comme le dit Robert Michaud, le grand défenseur des bélugas : « Les baleines ont un pouvoir de séduction particulier. En étant sous l’eau, elles vivent sur une autre planète, dans l’océan, loin de nos regards. Ça relève de l’inconnu, du mystère. »
Car c’est bien une mer sous-marine qu’ont creusée les glaciers, il y a 10 000 ans, à la sortie du fjord du Saguenay; si profonde, froide et pure qu’elle peut fournir en abondance la nourriture préférée des baleines, le krill. On y retrouve tous les grands poissons de fond jusqu’à La Baie, au Saguenay.
Au-delà des îles du Kamouraska, ces cabourons immergés, le fleuve plonge à plus de 90 pieds de profondeur, et beaucoup plus encore à la sortie du Saguenay. Les bélugas qui demeurent à l’année dans ces eaux sont des marsouins blancs qui sont restés ici après le retrait des eaux de la fonte des glaciers, et s’y sont adaptés. Leurs cousins sont plus nombreux dans la baie d’Hudson et le Grand Nord. Chez nous, ils ont été tellement chassés – même par des bombardements organisés durant les années 50, sous prétexte qu’ils mangeaient la morue et le saumon du fleuve – qu’il n’en reste que 900, et ils sont décimés par les contaminants du fleuve, le réchauffement de l’eau, et surtout peut-être par le bruit des bateaux qui brouille la communication entre eux, particulièrement entre les mères et leurs petits.
C’est pour protéger leur habitat et leurs lieux de reproduction qu’on a refusé que le port de Cacouna devienne un port méthanier et un terminal pour l’oléoduc Énergie-Est, et plus récemment que le Saguenay serve de voie maritime pour 100 passages supplémentaires de gros navires méthaniers, tel que projeté par le gazoduc GNL. Les bélugas nous ont rendu un énorme service et on leur doit plus qu’on pense.
Le Parc marin permettra de protéger les écosystèmes de cette mer intérieure, de limiter sa contamination, de réglementer la circulation maritime de façon à limiter le bruit sous-marin, tout en favorisant son utilisation à des fins éducatives, récréatives et scientifiques. Il existe déjà, à Baie-Sainte-Catherine, un magnifique centre développé par le Groupe de recherche et éducation sur les mammifères marins, et une équipe de chercheurs remarquables.
Il est clair que ce privilège d’être désormais les voisins du Parc marin et de ses baleines et bélugas vient avec des responsabilités importantes. Bien sûr, il n’est plus question de tuer et de faire fondre des milliers de bélugas comme on l’a fait longtemps à la Pointe-aux-Orignaux de Rivière-Ouelle, pour faire du cuir et de l’huile — un gros béluga donnait 100 gallons d’huile, utile pour lubrifier et surtout s’éclairer. Il devient prioritaire pour tous nos villages de limiter au maximum la contamination du Parc marin par nos résidus domestiques, agricoles et industriels. Pour protéger l’habitat des bélugas, il faut commencer par protéger notre propre habitat, notre propre eau. C’est tout le fleuve qui s’en portera mieux, car notre région — et le Québec en entier — est un immense bassin versant qui s’écoule vers le fleuve, il ne faut jamais l’oublier.
Pour mieux protéger nos voisins les bélugas et les baleines, il faut apprendre à mieux les connaître, à les aimer. Nous vivons à côté d’une autre planète mystérieuse. « Nos voisins les bélugas sont sexy, souligne Robert Michaud; au-delà d’être un joli animal blanc, avec un beau sourire, qui a parfois l’air d’un imbécile heureux, c’est avant tout un animal doté d’un grand cerveau. Sauver les bélugas, c’est sauver la beauté et sauver le monde. »