Aux premiers jours de décembre, Moisson Kamouraska et ses paniers de Noël sont sur toutes les lèvres. Chacun passe en mode générosité pour assurer aux plus éprouvés de pouvoir mettre un peu de bonheur sur leur table des Fêtes.
Mais c’est toute l’année que Mireille Lizotte veille sur son monde, un don à la fois. C’est pourquoi, après douze mois marqués par le déménagement de Moisson Kamouraska dans un bâtiment spécialement construit pour répondre à ses besoins, Le Placoteux tient à souligner l’importance du leadership de Mireille Lizotte, et son engagement profond envers la population du Kamouraska et envers son équipe d’employés et de bénévoles.
Quand Mireille a appris la nouvelle — tout le monde l’appelle Mireille, nous ferons de même —, elle a eu la même réaction que tous ceux qui, comme elle, consacrent leur vie aux autres : « Non, mais, c’est toute mon équipe qui travaille fort, c’est gênant de me mettre en avant, comme ça… » C’est en écoutant son histoire qu’on réalise à quel point elle n’hésite jamais à s’y mettre, devant, pour porter les projets qui vont améliorer la vie de son monde.
Une vie de service
Mireille Lizotte est née à La Pocatière, troisième d’une famille de cinq enfants. Elle a commencé très jeune à démontrer ses talents pour le service à la clientèle, en travaillant entre autres plus d’une décennie chez Zellers, au centre commercial local. Mère de trois enfants, elle choisit de revenir à la maison pour donner à ceux-ci une meilleure qualité de vie, sans le stress induit par la conciliation famille-travail.
Mais Mireille a beaucoup d’énergie, et la vie de mère à temps plein ne lui suffit plus. Après dix-huit mois, elle part à la recherche d’une occupation à temps partiel. « J’avais besoin de sortir de mon quotidien, de voir du monde », se souvient la directrice. Sa sœur Maryse dirige alors Moisson Kamouraska depuis un local à Saint-Pacôme. Mireille y fait du bénévolat, mais ce n’est pas encore à ce moment qu’elle y prendra racine.
C’est par Maryse qu’elle apprendra que l’Association pour la défense des droits sociaux Kamouraska (ADDSK) est à la recherche d’une animatrice pour des cafés-rencontres, un contrat de douze heures par semaine. Sa réputation la précède : on la connaît de ses années chez Zellers, et on sait qu’elle est digne de confiance et imbattable côté service. Elle obtient le poste.
En 2011, Maryse Lizotte devient attachée politique et quitte la direction de Moisson. C’est à Mireille qu’on demande d’assurer l’intérim, le temps de dénicher une nouvelle perle rare. C’est la période des paniers de Noël, et Mireille plonge dans le bain. Elle combine la gestion de Moisson Kamouraska et son travail d’organisatrice à l’ADDSK. Fidèle à son dynamisme, elle s’adjoint les services de Louise Chrétien, qui reste encore à ce jour sa partenaire indéfectible. Ensemble, elles créent les Boîtes fraîcheur, bien avant les Goodfood et HelloFresh d’aujourd’hui, et se joignent à l’Alliance pour la solidarité au Kamouraska, qui lutte contre l’exclusion sociale.
Aux commandes de Moisson Kamouraska
Plus elle s’implique, plus Mireille constate à quel point Moisson Kamouraska est un immense chantier à développer. L’espace est restreint à Saint-Pacôme, et malgré la générosité du propriétaire des lieux, Gaston Dubé, on sent bien qu’il faudra bientôt déménager. Pour cela, il faut bâtir un plan stratégique, évaluer les besoins à venir, bref, il faut une directrice à temps plein.
Mireille a plein d’idées, elle connaît comme le fond de sa poche les rouages de Moisson, c’est naturellement à elle qu’on confie les rênes de l’organisme, avec le mandat de le restructurer et de le déménager. Dès lors, elle prend les choses en main. Elle consulte d’autres Moisson au Québec, passe du temps avec les gens de Soupe au bouton à Saint-Jean-Port-Joli, et peu à peu, élabore le plan stratégique qui correspond à sa vision de l’avenir.
En une dizaine d’années, l’organisme connaîtra un essor impressionnant. De Saint-Pacôme, il déménagera à La Pocatière, et s’installera successivement dans les locaux du défunt Écono-Club sur le chemin de la Station, puis dans l’ancien Dépanneur d’la 10, sur la 5e Rue Rouleau, quand les locaux précédents ne conviendront plus aux besoins grandissants de Moisson.
« Tout ce que nous avons fait, insiste la directrice, a été rendu possible grâce à la générosité de Gérald Beaulieu qui a accepté de casser notre bail du chemin de la Station, même si sa situation financière était difficile à ce moment-là. »
Les nouveaux locaux permettent d’agrandir l’espace d’entreposage pour les denrées. On développe un café communautaire, on rénove la cuisine, on aménage les lieux pour convenir aux besoins, mais Moisson est bientôt confronté à des contraintes difficiles à supporter.
Le loyer est élevé, et des servitudes autour du bâtiment restreignent les possibilités d’agrandissement. Dans la tête de Mireille s’ancre l’idée de rendre Moisson Kamouraska enfin maître de son destin.
Se retrouver chez soi
Commence alors la chasse au financement, alors que le Québec se démène avec les conséquences de la Covid. Subventions, sociofinancement, délais plus que serrés, Mireille Lizotte navigue dans les dédales administratifs, plaide sa cause avec fougue, trouve des partenaires, explore les terrains disponibles, se transforme en gestionnaire de projet immobilier, sans jamais perdre de vue son objectif premier : nourrir son monde.
En tout, le projet aura nécessité un investissement de 1,9 M$, dont le financement aura été assuré grâce à des subventions totalisant 800 000 $ qui ont donné confiance aux bâilleurs de fonds. « Il y a eu des gens qui ont douté de moi, qui pensaient que nous allions échouer, rappelle Mireille. Ma plus grande fierté est d’avoir prouvé que nous en étions capables. » Nous, c’est toute son équipe, Louise, Emmy, les bénévoles, le conseil d’administration de Moisson Kamouraska dont l’appui n’a jamais faibli. « Les compétences et le dévouement de l’équipe ont permis de créer un lieu accueillant, chaleureux, à l’image de ce qu’on voulait. »
Mireille et son équipe ont réfléchi à tous les aspects : espaces de manutention et d’entreposage, une cuisine immense pour la transformation des aliments, espaces communautaires, forêt nourricière, potager, et plus tard, qui sait, des partenariats pour de la culture en serre. Pour l’instant, tout le monde reprend son souffle après une année exigeante, mais après 30 années d’existence, Moisson Kamouraska dispose maintenant d’une base solide pour asseoir ses projets.
Être reconnu pour mieux aider
Et des projets, il y en a. Outre le travail de terrain qui reste l’activité principale de l’organisme, Mireille veut aussi accroître sa renommée. « Mon objectif est que nous soyons davantage connus et reconnus », explique-t-elle. Elle a déjà commencé, en développant un partenariat avec le Cinéma Le Scénario qui diffuse une courte vidéo promotionnelle avant les projections, et qui collabore à son projet de Ciné-Moisson.
Parce que si le visage de la pauvreté change, les besoins restent criants, et les préjugés sont tenaces. Pour les combattre, Mireille salue la force du réseau communautaire kamouraskois. Les liens entre les divers organismes permettent de créer de solides liens de confiance avec la population.
« Aujourd’hui, on se retrouve avec des gens qui, malgré deux salaires, n’y arrivent plus, rappelle la directrice. C’est difficile pour eux de demander de l’aide, et c’est important de les accompagner vers la meilleure ressource pour leur situation. »
Lutter contre l’exclusion, arracher les étiquettes, nourrir son monde… Mireille entend bien continuer à le faire encore un bon moment, parce que la passion est toujours là.
Et pour préserver son équilibre mental, elle continuera à se promener au bord du fleuve, à s’asseoir sur son banc préféré et à photographier le paysage, une activité qu’elle pratique depuis la pandémie. C’est ainsi qu’elle apaise son esprit et qu’elle recharge ses batteries, pour mieux continuer sa mission : prendre soin du Kamouraska.