Avant mars 2020, la majorité des Bas-Laurentiens connaissait très peu le Dr Sylvain Leduc, ainsi que son rôle à titre de directeur de la Santé publique du Bas-Saint-Laurent. Avec la pandémie de COVID-19, sa fonction a été exposée au grand jour et sa présence est devenue pratiquement quotidienne. Pour cette édition du temps des Fêtes 2020, Le Placoteux propose une grande entrevue et un portrait du Dr Sylvain Leduc.
Né à Québec et âgé de 55 ans, Sylvain Leduc a fait ses études et sa spécialité en Santé publique à l’Université Laval, avant de s’installer à Rimouski en 1996 où il a occupé différents postes avant de devenir directeur de la Santé publique du Bas-Saint-Laurent en 2013. Adepte de plein air et de sport, tel le hockey, il occupe le peu de temps libre qu’il lui reste présentement pour garder de saines habitudes de vie et passer du temps avec ses quatre enfants de 10 à 24 ans.
(Placoteux) Avant 2020, peu de gens connaissaient ce qu’était « la Santé publique ». Quel était et est toujours le rôle d’un directeur de Santé publique ?
(Sylvain Leduc) Le rôle d’un directeur de Santé publique n’a pas changé, mais l’importance du dossier de la COVID-19 nous a révélés. On avait déjà la responsabilité de protéger la santé de la population, quelle que soit la menace. S’il y a des problèmes environnementaux ou de santé liés à des contaminants ou bien des épidémies, par exemple de streptocoque invasif ou de méningocoque, la responsabilité du directeur est de mettre en place une équipe qui va protéger la population contre ces risques.
Le deuxième volet est la prévention. Dans tout le gros paquebot de la Santé qui investit 99 % de ses ressources pour soigner, il y 1 % seulement pour prévenir la maladie et c’est à nous que l’on confie cette responsabilité.
Quand j’ai fait mes études en médecine, je trouvais que peu importe combien de malades on guérissait, il en arrivait toujours au moins autant à l’urgence, tout aussi malades. On n’avait jamais fini de guérir le monde, jamais. Je me demandais s’il y avait une façon de diminuer le fait que les gens soient malades et c’est là que je me suis intéressé naturellement à la Santé publique.
(Placoteux) Que faut-il pour être un bon directeur de Santé publique ?
(Sylvain Leduc) Il faut avoir la capacité de mobiliser nos troupes, qui ont toutes sortes de responsabilités, mais qui sont si peu nombreuses. Il faut trouver les bonnes cibles. Les gens en Santé publique ont le cœur « large comme ça » et ont envie d’épouser toutes les causes, mais il faut réussir à mettre un ordre dans tout cela. Ensuite, il faut être capable de joindre et d’informer la population. Ça prend des habiletés de communication.
(Placoteux) Parlez-nous du moment où vous avez su que la menace du coronavirus devenait tangible ?
(Sylvain Leduc) Quand on fait une spécialité comme la mienne en Santé publique, on a des cours théoriques sur la préparation à ce qu’on appelle une pandémie. Le dernier exemple tangible remonte à 1918.
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que oui, on a plus de moyens pour guérir, soigner et communiquer entre nous, mais il reste qu’il y a plusieurs parallèles à faire avec notre vulnérabilité quand survient un tel fléau ; un virus qui combine à la fois une capacité de se transmettre facilement et des risques pour la santé pour une bonne proportion de la population.
On n’est pas totalement surpris, car on était formés pour ça, mais le cocktail aussi dévastateur de quelque chose qui se promène partout très rapidement dans tous les pays du monde et qui remplit les hôpitaux en même temps, on n’avait pas vu cela…
(Placoteux) Le Bas-Saint-Laurent s’en tire plutôt bien avec cette pandémie mondiale. Pourquoi ?
(Sylvain Leduc) On a une combinaison d’éléments qui nous aident et une combinaison d’éléments où on fait notre propre chance. Ce qui nous aide, c’est sûr que nous n’avons pas une densité de population comme à Laval ou à Montréal. Le facteur démographique nous aide, mais nous ne sommes pas la seule région à avoir cette démographie-là. En plus de cela, il faut avoir une équipe efficace.
(Placoteux) Quelles sont vos inquiétudes en lien avec cette pandémie qui s’éternise, pour la région ?
(Sylvain Leduc) On aimerait dire qu’on a terminé, mais on n’a pas terminé. Les mois de janvier, février, mars sont les mois où les virus se transmettent beaucoup. La vaccination est une très bonne nouvelle, mais on n’aura pas atteint une couverture suffisamment large pour dire que tout est réglé en début d’année. Dans la population, c’est la même chose, il y a une fatigue qui est absolument compréhensible, mais 2021 ne sera pas comme 2020.
(Placoteux) Quels sont les plus grands défis depuis mars ?
(Sylvain Leduc) Le défi c’est de voir les gens du réseau de la santé être surchargés et d’avoir une partie de la population qui nous dit que ce n’est pas un problème. Les gens souffrent, ont des familles qui sont inquiètes et ces lits-là prennent des places qu’on ne peut pas donner à des gens qu’on ne peut plus traiter pour d’autres problèmes de santé. Ça, c’est ce qu’on appelle le délestage. On a beaucoup de gens qu’on ne peut pas soigner à la même vitesse qu’on aurait faite dans une autre année.
Ce qui fait mal un peu, c’est qu’on voit la souffrance des gens, la souffrance des familles, la souffrance des gens dont la chirurgie est reportée et pendant ce temps des gens ne croient pas et banalisent cela. C’est peut-être juste 15 % de la population, mais ils sont visibles. C’est une partie qui est plus difficile.
(Placoteux) Qu’avez-vous découvert à votre sujet à la suite de votre gestion de crise de la pandémie ?
(Sylvain Leduc) La résilience, comme tout le monde ! On est tous un peu « à bout », mais on ne lâchera pas.
(Placoteux) Jusqu’à présent, est-ce que vous auriez fait certaines choses autrement ?
(Sylvain Leduc) Je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire (autrement), avec les éléments et informations qu’on avait. On présente un des meilleurs bilans au Québec. Avec le recul, on est content de la performance de l’équipe.
(Placoteux) Que devrons-nous garder comme leçon de cet épisode qui se terminera un jour ?
(Sylvain Leduc) La première chose, c’est que ça va montrer l’importance de la prévention. On aura aussi évidemment un ensemble de leçons à tirer sur comment on organise nos soins pour les personnes âgées. Tout le monde va avoir fait une croix sur 2020, c’est quelque chose dont on va se souvenir pour des choses plates, mais aussi pour des choses pour lesquelles il y a eu un sentiment d’effort collectif, de solidarité. Il y a des beaux exemples aussi à travers tout cela.