Placotons : « Libârté » à deux vitesses

Les drapeaux du Québec et du Canada à l’envers comme témoignage d’une liberté jugée brimée au nom de la pandémie, selon certains manifestants. Photo : Maxime Paradis.

J’ai reçu mon coup de grâce jeudi matin lorsque j’ai lu que la direction de CTV à Edmonton avait décidé de retirer le lettrage de ses véhicules qui transportent les journalistes devant couvrir les scènes de manifestations en lien avec la pandémie. Ce n’est plus sécuritaire pour eux d’être associés à l’organisme de presse qui les emploie.

Il était clair que mon humeur à ce sujet régressait depuis quelque temps. Je fronçais les sourcils quand je voyais les journalistes québécois à Ottawa et Québec se faire enguirlander, menacer, pratiquement agresser. Surtout qu’on n’en fait plus de cas, que ce soit devenu une généralité.

Je roulais des yeux quand j’entendais des manifestants crier aux journalistes : « ALLEZ-VOUS EN ! ON NE VEUT PAS DE VOUS ICI ! ». J’avais le goût de lui dire : « Ma grande, si toutes les caméras et les micros s’en vont, tu veux qu’on parle comment de ta cause ? Sur des vidéos TikTok de 30 secondes ? ».

Je sourcille déjà depuis un certain temps quand je lis les commentaires haineux, découragés, écrits à la va-vite sous les nouvelles concernant la pandémie sur notre propre page Facebook du Placoteux. Dès qu’on entre dans les attaques aux journalistes, c’est drôle, les journalistes du Placoteux, Maxime Paradis et moi, nous autres, on est correct ! On prend la peine de le préciser, de nous l’écrire en message privé. « Je ne parle pas de vous deux, je parle des autres… ».

Quand je soutiens des conversations qui dérivent sur les vendus de journalistes, c’est drôle, les journalistes de la région, nous autres, ce n’est pas pareil, on est corrects ! Pourtant, j’ai écrit pendant plusieurs années comme pigiste pour les quotidiens Journal de Québec et de Montréal et j’avais la même éthique de travail que pour notre hebdomadaire.

Même que lors de sa couverture de l’appui au convoi de camionneurs au viaduc de La Pocatière, Maxime s’est même fait demander « Maxime, prends-nous en photos ! ». On est loin du traitement reçu par les journalistes moins de 200 km plus loin.

Les gens de la région sont-ils moins caves, plus éduqués, plus civilisés ? La réponse est non. La réponse est, ils nous connaissent, ils connaissent quelqu’un qui nous connaît, ils nous ont déjà croisés quelque part ou nous ont entendus à la radio ou à la télévision, en plus du journal… On devient bien moins courageux à ce moment-là ! Pourtant, nous avons reçu la même formation que les autres. Notre journal reçoit aussi des subventions gouvernementales (comme bien des entreprises depuis deux ans, rappelons-le). Nous traitons les mêmes points de presse. On se permet même des éditoriaux ! Pourquoi, moi, je n’ai reçu aucune haine directe à ce jour ?

Poser la question, c’est y répondre. La petite gêne s’installe quand tu es dans ton petit milieu. Pourtant, tu es censée te battre pour ton opinion jusqu’à la fin, non ? D’autres de mes collègues de la région ont été un peu plus malmenés que nous depuis le début de la pandémie. Mais à ma connaissance, ils n’en sont pas rendus à cacher le lettrage de leurs véhicules pour leur propre sécurité.

Maintenant, réfléchissons à ce qui va rester de nos vendus de journalistes après tout cela. Va-t-on perdre des joueurs en chemin ? Je ne connais personne qui a hâte de voir de quelles façons il se fera ramasser à sa journée d’ouvrage, à moins d’être sado-maso. Moi aussi, j’aurais le goût tout d’un coup de faire profiter mes talents de communication à une firme ou une entreprise, bien installée dans mon bureau.

Sur ce, je vais aller vérifier ma boîte aux lettres, voir si j’ai bien reçu mon chèque du gouvernement à l’attention de « Stéphanie Gendron, journaliste », ça devrait me calmer, des fois que j’aurais le goût d’écrire « la vérité ». Je me demande si c’est imposable ?