Dès que j’ai vu sa publication passer sur Spotted LaPocatière, j’avais le goût de parler à Émilie (prénom fictif). Il faut dire qu’il est difficile de rester indifférent à ce type de déception : celle d’une étudiante au collégial qui voit dans la suspension des cours en présentiel une occasion manquée de parfaire ses apprentissages techniques sur le terrain.
Émilie a bien entendu reçu beaucoup d’appui en lien avec sa publication : qui n’est pas furieux de constater actuellement qu’une série de rassemblements privés non contrôlés auxquels ont participé nombre d’étudiants de La Pocatière sont à l’origine de cette recrudescence de cas de la COVID-19 dans la région ?
Émilie avait besoin de le verbaliser. On la comprend. N’est-elle pas un dommage collatéral, tout comme nous, d’un dérapage qui aurait pu clairement être évité avec un minimum de vigilance ?
« Je vis pareil. Je ne me sens pas nécessairement brimée. Ma session continue quand même. Mais toutes les activités “terrain” que nos enseignants se sont tués à nous organiser dans le contexte actuel qui n’est déjà pas évident, on oublie ça, c’est foutu », s’est exclamée Émilie.
Je peux la comprendre. Le Cégep et l’ITA auront beau nous répéter qu’il y a différents moyens de développer des compétences pratiques chez les étudiants et que le professionnalisme et l’encadrement de leurs équipes d’enseignants sont tels que les étudiants risquent peu de souffrir du remplacement de ces précieux laboratoires par d’autres activités pédagogiques réalisées à distance, mais permettez-moi d’en douter.
Des mises en situation, des résolutions de problèmes, c’est bien beau, mais il n’y a rien pour valider des apprentissages que de se jeter à l’eau, être dans le bain pour vrai. Imaginez un pilote d’avion qui n’aurait jamais volé, ni même sur un simulateur de vol au préalable, aux commandes de l’appareil qui doit vous conduire à Paris.
Ce volet pratique de l’enseignement, c’est ce que les étudiants en formation technique au collégial vont chercher, en bonne partie. Autrement, c’est le chemin du préuniversitaire qu’ils auraient choisi. Alors quand Émilie me dit que c’est ça qu’elle vient de perdre pour les deux prochaines semaines, ou peut-être même plus si les cours en présentiel demeurent suspendus au-delà du 24 septembre, je comprends son angoisse.
Sera-t-elle à la hauteur pour ses stages ? Sera-t-elle suffisamment bien outillée lorsqu’elle joindra le marché du travail dans son domaine ? Ou est-ce que sa cohorte et elle ne traîneront pas l’étiquette péjorative « finissants de la COVID » encore bien des années après la fin de la pandémie, au point de semer le doute auprès de futurs employeurs sur leurs compétences réelles au moment de l’embauche ? Tant de conséquences insoupçonnées qu’Émilie et d’autres de ses amis appréhendent aujourd’hui pour leur avenir… à cause de partys.
Un de ces partys, qui a rassemblé environ 100 personnes le 30 août, Émilie n’y a pas participé. Elle n’en a même jamais eu vent, dit-elle. Y serait-elle allée si on l’avait invité ?
« Il y a eu des initiations dans mon programme. Je sais qu’elles ont été faites dans les règles de l’art et je n’y ai même pas participé. Et pourtant, la traçabilité aurait été beaucoup plus simple. Dans un party de 100 personnes, comment voulez-vous retrouver les gens ? C’est beaucoup trop de monde ! »
Ai-je bien entendu ? Mais où est cette insouciance qu’on attribue généralement à la jeunesse ? Où est cet égoïsme qu’on généralise à tous ces étudiants, sans nuance, depuis le début de cette éclosion ?
« Ma tante a eu la COVID-19. Ma mère, elle, est immunosupprimée. Elle prend des pilules qui affaiblissent son système immunitaire. Si elle attrape le coronavirus, elle sera gravement malade. »
Et Émilie continue. Son conjoint étudie en finances et, selon lui, l’économie ne peut absorber un autre choc comme celui vécu le printemps dernier lors du confinement généralisé. Elle fait donc attention. Elle suit les consignes sanitaires du mieux qu’elle peut et fait confiance aux autorités.
« Je ne suis pas microbiologiste, ni médecin. Qui suis-je pour dire que ce n’est pas problématique la COVID-19 ? Il faut arrêter de penser que le gouvernement est méchant, alors qu’il nous demande seulement de nous protéger. Il n’est pas parfait, mais il a raison sur un point : c’est avec une pensée collective qu’on va se sortir de cette galère-là », s’exclame-t-elle.
J’ai raccroché avec Émilie au bout de 20 minutes. Et devant tant de sagesse, j’étais heureux de ne pas avoir passé la dernière semaine à généraliser, en mettant tous les jeunes dans le même panier. En fait, pour la première fois depuis le début de cette crise, face à l’intelligence émotionnelle d’Émilie, j’avais le goût de voir des arcs-en-ciel. Après tout, c’est peut-être vrai que ça va bien aller!