Récemment, le ministre de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, affirmait publiquement que les Québécois devraient « consommer moins » d’électricité et « aux bons moments » pour réussir la transition énergétique tout en faisant face collectivement à l’explosion de la demande générée par les nouveaux projets industriels car, dit-il, « nous sommes les derniers de classe en matière de consommation responsable d’énergie ».
Ainsi, pour répondre à l’appel du ministre de l’Énergie, nous devrons individuellement appliquer certaines mesures, dont moins consommer durant les pointes le matin et en fin de journée, réduire le chauffage, effectuer des rénovations faibles en émissions de carbone, installer des thermopompes et des thermostats intelligents, changer les fenêtres, mieux isoler, faire fonctionner ses électroménagers et brancher sa voiture électrique de manière différée, réduire l’éclairage, miser sur l’éclairage DEL et éteindre les lampes inutilisées, réduire la consommation d’eau chaude, réduire le nombre et la taille des véhicules, favoriser le transport en commun et le covoiturage, etc. « Nous devons adopter des mesures d’efficacité et de sobriété énergétique pour réduire notre consommation », a plaidé le ministre Fitzgibbon. Celui-ci déposera par ailleurs ce printemps son projet de loi sur l’avenir énergétique.
Un instant!
Bien qu’on nous cite régulièrement la France, où des mesures radicales ont été instaurées afin de faire face à une crise de l’énergie en raison principalement de la guerre en Ukraine, il m’apparaît vraiment prématuré d’agir de la même manière ici, alors que la guerre en question n’affecte aucunement notre approvisionnement en électricité… Alors, qu’est-il arrivé pour que le Québec passe de surplus massif d’électricité à un manque imminent?
Dans un document déposé à la Régie de l’énergie au tournant de l’année 2020, Hydro-Québec stipulait que la capacité de production de ses centrales et de ses autres sources d’approvisionnement dépassait ses besoins de plus de 40 TWh par année. Pourtant, dès novembre 2021, la société d’État annonçait la fin des surplus d’électricité en lançant des appels d’offres pour en acheter des quantités considérables sur le marché après 2026…
Excusez-moi, mais passer de +40 TWh à des prévisions de -100 TWh dans un si court laps de temps, pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, me semble un peu étrange, voire même suspect, alors qu’en novembre 2021, Hydro-Québec signait un important contrat d’exportation avec New York pour la livraison 10,4 TWh par année, et ce, pendant une période de 25 ans…
Pourquoi signer un contrat que nous n’avions pas les moyens d’honorer, pour ensuite demander aux Québécois de réduire leur consommation d’une énergie dite propre? Charité bien ordonnée ne devrait-elle pas commencer par soi-même? Y a-t-il des personnes qui ont omis de se parler?
Un monopole doit livrer
C’est connu, et c’est une fierté nationale, l’électricité a été nationalisée au Québec, et nous sommes censés être des leaders en la matière. Pour obtenir du courant, vous devez inéluctablement passer par Hydro-Québec, car il n’y a pas d’autres options, ne serait-ce que dans certains cas exceptionnels.
Pourtant, on cherche à restreindre la consommation d’électricité de la population car, dit-on, nous allons en manquer en raison des cibles de carboneutralité. L’électricité produite par Hydro-Québec, premier producteur d’énergie renouvelable en l’Amérique du Nord, n’est-elle pas de source propre, renouvelable à 99 %, et à faibles émissions de gaz à effet de serre (GES)?
Rappelons ici à titre informatif que le parc de production d’Hydro-Québec comprend 61 centrales hydroélectriques et 24 centrales thermiques, pour une puissance installée totale de 37,2 GW. Ses installations hydroélectriques comprennent également 28 grands réservoirs d’une capacité de stockage combinée de plus de 176 TWh, ainsi que 681 barrages et 91 ouvrages de contrôle.
Or, avec ces données, s’il va bientôt manquer d’électricité au Québec, et que par pure maladresse on ne s’en est malencontreusement rendu compte que dans l’espace d’une année avec, avouons-le, des explications qui laissent à désirer, peut-on minimalement arrêter de mettre sur pied des projets comme celui de Northvolt, qui paradoxalement produira des batteries de véhicules électriques à coup de milliards $ de subventions, si en fin de compte nous ne possédons pas collectivement les infrastructures nécessaires à une telle entreprise? Sommes-nous dans la même logique que celle de l’immigration massive, alors que les infrastructures pour bien accueillir les nouveaux arrivants sont manquantes ?
Remettre ainsi le manque de vision du gouvernement et de la direction d’Hydro-Québec sur les épaules des citoyens, parce qu’on n’a pas su faire des prévisions dignes de ce nom en vendant de l’électricité au moment où l’on constate qu’on en manquera, n’est à mon sens qu’une vulgaire tentative de largage en règle de la responsabilité de bien administrer l’État. Il y a cinq ans, rappelons-le, le premier ministre François Legault vantait encore le fameux coussin de la société d’État. « Hydro-Québec prévoit des surplus pour les 20 prochaines années », disait-il avec aplomb.
Lorsqu’on impose un monopole à la population, le gouvernement a le devoir sacré de donner le service qui vient avec cette responsabilité. Dans un contexte où il y a concurrence, si le fournisseur de services n’est plus en mesure — pour quelque raison que ce soit — de donner ledit service, le client peut aisément se tourner vers un compétiteur. Dans le cas d’Hydro-Québec, si la société d’État n’est pas en mesure d’octroyer le service demandé, vers qui le citoyen peut-il se tourner?
Le citoyen n’est pas coupable
Bien qu’Hydro-Québec souhaite doubler sa capacité à près de 200 térawattheures, et compte investir près de 185 G$ d’ici 2035, la volonté des autorités en place de vouloir faire entrer les Québécois dans une logique de sobriété énergétique demeure pour moi une farce magistrale. L’hydroélectricité est une source d’énergie renouvelable et propre, et une plus grande consommation d’électricité des Québécois équivaut à des revenus supplémentaires pour l’État dont, avouons-le, nous avons cruellement besoin avec les 11 milliards $ de déficit que le ministre Girard nous a récemment annoncés avec le sourire.
Ce ne sont assurément pas les Québécois qui sont à blâmer dans cette histoire, même si le ministre Fitzgibbon tente de nous faire collectivement sentir coupable, mais bien le gouvernement du Québec, qui n’a pas su planifier adéquatement ce secteur névralgique de notre économie… Mais, soyons honnêtes, sommes-nous réellement devant une crise de l’énergie en raison du manque de vision de nos décideurs, ou bien davantage devant une idéologie qui prône la carboneutralité à tout prix, au détriment du confort et de la liberté, alors qu’au Québec l’hydroélectricité est considérée comme une énergie propre et renouvelable?
Il est évident qu’il faut s’occuper de tous les aspects de l’environnement, mais pour les GES, il serait judicieux de se rappeler que le Canada est uniquement responsable de 1,5 % des émissions dans le monde, alors que le Québec est responsable quant à lui de 11,6 % des émissions canadiennes. Oui, le Québec doit faire sa part pour l’environnement, mais sûrement pas à n’importe quel prix, et surtout pas par une baisse drastique de la qualité de vie de ses citoyens qui, en somme, est imposée soit par incompétence, ou carrément par idéologie…
Nous produisons de l’énergie propre au Québec, et notre approvisionnement en électricité ne dépend pas du gaz russe. La sobriété énergétique concernant l’hydroélectricité n’est ainsi aucunement justifiée, et le gouvernement doit rapidement se mettre au travail afin d’honorer son contrat de livrer du courant efficacement à l’ensemble des Québécois. « Maîtres chez nous! », disait-on naguère.
La sobriété énergétique souhaitée est donc tout sauf un projet de société. Elle ressemble davantage à la célébration de la médiocrité et du manque de vision! J’estime ainsi qu’il serait temps de remettre de la fierté dans l’appareil car, avouons-le, le Québec a déjà brillé beaucoup plus qu’aujourd’hui.