Placotons : Les pieds sur terre

Olivier Bissonnette-Lavoie, Maha Farah Elmir, et leur enfant, Youssef Elmir-Lavoie lors d’un marché. Photo : Archives Le Placoteux

J’étais à la fois curieux et sceptique lorsque j’ai vu Maha Farah Elmir et Olivier Bissonnette-Lavoie de Saint-Pascal à la une de La Presse. L’article intitulé Les nouveaux maraîchers du Kamouraska, placé dans la rubrique Inspiration – Le Québec en mouvement, laissait présager ces clichés que les médias nationaux adorent nous servir sur le Kamouraska : ce paradis terrestre de l’autosuffisance, ou ce gigantesque laboratoire d’expérimentation d’un mode de vie alternatif; dans les deux cas, une image déformée de la réalité.

Chaque fois que je lis ce type d’article sur le Kamouraska, mon cœur balance entre fierté et malaise. La fierté est simple : parler de nous pour autre chose qu’une tragédie, des suppressions de poste chez Alstom, ou parce qu’on s’est fait rouler dans la farine une fois de plus par le gouvernement au sujet de l’ITAQ a de quoi rendre heureux. Mais en contrepartie, je ne peux m’empêcher de m’imaginer la boîte vocale de Louis Lahaye Roy, agent de Place aux jeunes au Kamouraska, débordée d’appels le lundi suivant en provenance d’urbains en quête d’un séjour exploratoire, pensant que le Kamouraska est la terre de tous les possibles pour quiconque veut vivre d’amour et d’eau fraîche.

Le Kamouraska a bien ses « marginaux », comme partout ailleurs; ses « bobos » qui débarquent avec suffisamment de condescendance, et qui disent à mots couverts « tasse-toé mononcle » aux « locaux »; mais vendre l’idée que nous sommes le royaume post-hippie de l’agriculture bio à petite échelle, ou encore du communautarisme est une hérésie. En fait, ce qui est peut-être particulier au Kamouraska — et encore! — c’est que les gens attachés à ces mouvances sortent du lot suffisamment, au point où tous les médias, même Le Placoteux, finissent inévitablement par parler d’eux.

Mais le Kamouraska n’est pas que ça. Le Kamouraska, c’est aussi Tony La Sauce et sa bande qui vont faire aller leurs moteurs à bateaux sur le lac de l’Est en juillet prochain, c’est un événement de chars modifiés à Saint-Joseph-de-Kamouraska, des soupers steak au poivre au Club Hiboux, des familles qui s’installent dans des quartiers résidentiels comme dans n’importe quelle autre banlieue, et du monde à la tonne qui espère encore un Tim Hortons à Saint-Pascal. Autrement dit, nous ne sommes pas tous des Christian Bégin avec un abonnement récurrent chez Côté Est à Kamouraska.

« Cacher » cette réalité n’aide en rien la recherche d’une certaine cohésion sociale dans une région comme la nôtre, lorsque débarque une armée de néoruraux aux idées progressistes.

Ménager la chèvre et le chou

Et là réside toute la beauté de l’article — j’y reviens! — de la journaliste Silvia Galipeau. Oui, on nous présente cette histoire d’un jeune couple fraîchement débarqué de Montréal, ultra scolarisé, qui s’installe à Saint-Pascal et qui se lance dans le maraîchage bio hivernal.

Mais on ose aussi laisser un peu de place à la réalité. Plus frais que ça, on est dans les légumes de cette charmante Ferme des Rhizomes — nom de l’entreprise de Maha et Olivier.

Le Pascalien d’origine est le premier à énoncer une vérité : « Le Kamouraska ne consomme pas très local encore. » Il n’y a pas à dire, Olivier connaît bien son monde, et l’évoquer n’est pas un reproche non plus. Il suffit de se rappeler l’engouement suscité par l’arrivée prochaine du Maxi, à Saint-Pascal justement, et le tollé qui a découlé sur les médias sociaux de la chronique de Roméo Bouchard dans nos pages, qui a qualifié ce type de supermarché au rabais comme étant un pas vers la dépossession de nos régions.

Verdict : la quantité avant la qualité est ce qui motive encore les achats d’un grand nombre de Kamouraskois, à tort ou à raison.

Et il y a ensuite Maha qui ajoute que « ça a l’air bucolique, ces gens qui s’amusent et qui ont des poules. Mais c’est tough d’en vivre… » Bref, le mode de vie à la Jean-Martin Fortier a beau faire de belles séries télévisées sur Unis TV, il reste que pérenniser une entreprise maraîchère, ce à quoi aspirent Olivier et Maha, demeure un défi.

Et c’est d’autant plus vrai dans le maraîchage bio, où tout est fait manuellement et à petite échelle. À preuve, les deux entreprises maraîchères kamouraskoises avec lesquelles j’avais des abonnements ces deux dernières années ont toutes deux fermé leurs portes après chacune deux étés d’opération.

Comme quoi, au-delà de nos décors de rêve et des récits inspirants de nos néoruraux dans la presse nationale, il est bon de garder les pieds sur terre en n’esquivant pas la réalité. Et dans le cas qui nous intéresse, c’est tout à l’honneur de Maha et Olivier d’avoir osé la transparence, et à la journaliste de ne pas avoir laissé toute la place aux clichés.