Elles sont belles les tomates d’Hélène. Tout l’été, elle entretient ses plants jalousement. Elle veut de beaux fruits, soit, mais aussi un peu de quiétude. Au fil du temps, le jardin derrière sa résidence de l’avenue Morel à Kamouraska est devenu son havre de paix quand elle n’est pas à l’intérieur de sa maison. Parce qu’ailleurs dans son village, elle ne se sent plus vraiment chez elle.
Hélène Bard habite Kamouraska, pratiquement depuis toujours. Depuis sa jeune vingtaine, elle vit au rythme de son village, au gré des saisons. Mais depuis quelques années, il y en a une qui ne lui appartient plus : l’été. Les autres, elle cherche l’âme de son village qui semble éteinte. Plus les touristes affluent vers Kamouraska, l’été, plus elle sent son village se déposséder.
Paradoxalement, Hélène Bard opère une résidence de tourisme. Elle insiste sur le mot résidence, car elle ne se dit pas intéressée à louer à la nuit, mais plutôt à la semaine. Ce qu’elle désire accueillir, ce n’est pas des touristes boulimiques qui s’arrêtent et qui repartent, mais des touristes qui s’apparentent plus à des villégiateurs, ceux qui jadis faisaient les beaux jours de Kamouraska durant la belle saison. Cette clientèle d’hier, c’est celle de demain, selon elle. Respectueux, curieux, raffiné, le touriste villégiateur est en quête d’authenticité et cherche à s’imprégner d’un lieu, de sa culture. Il veut vivre Kamouraska, pas seulement y arrêter comme si le village était une vulgaire halte routière.
Mais Hélène ne se raconte pas d’histoire. Il y a longtemps que Kamouraska n’est plus aux villégiateurs, encore moins aux locaux. Comme un écosystème soudainement mis en péril par un envahisseur d’apparence inoffensif, elle estime que son village se meurt sous ses yeux et elle en accuse la MRC de Kamouraska principalement, qui à coup de campagne de marketing territorial trompe les gens dans les grands centres. Selon elle, on utilise l’image de Kamouraska (le village) pour vendre Kamouraska (la région). Au final, les touristes et les nouveaux arrivants finissent par ne plus faire la distinction.
L’image a de quoi faire sourire quand on jette un œil au logo de cette campagne de marketing territorial mis de l’avant depuis 2017, un brin d’herbe qui rappelle étrangement le roseau commun, cette espèce de plante envahissante qui asphyxie tranquillement les marais du Kamouraska en bordure du fleuve. Ainsi, quand Kamouraska le village ne se fait pas envahir de touristes en été, il devient, selon Hélène, le nouveau centre-ville de la MRC, où y déferlent ces nouveaux arrivants fraîchement repêchés des milieux urbains du Québec, séduits par ce logo, qui sert également à vendre un art de vivre qui était à l’origine l’ADN de son village. Ces nouveaux arrivants, qu’elle ne chérit ni ne condamne, auraient eu l’inattention de croire en cette campagne de séduction poussée par une MRC qu’elle qualifie d’indifférente au sort de son village. Au final, les néo-ruraux viendraient à confondre Kamouraska le village à une marque de commerce, quelque chose à « consommer. » De plus, en les invitant à s’installer dans les terres, sans aucunement les inciter à alimenter le tissu social de la communauté de Kamouraska, ils deviendraient à ses yeux que des touristes de plus.
D’un autre côté, comment auraient-ils pu choisir Kamouraska? Ce rêve est carrément devenu inaccessible depuis longtemps, faute de développement domiciliaire, ou même de maisons vendues à prix accessibles suite à des années de surenchères immobilières qui ont contribué à augmenter le rôle d’évaluation des propriétés, tout en enrichissant la Municipalité en taxes foncières. Cela, Hélène en est bien conscience et c’est ce qui lui fait craindre aujourd’hui pour l’avenir de l’école et les commerces de proximité qui essaient de demeurer ouverts à l’année à Kamouraska, alors que la manne n’y est plus une fois la fête du Travail passée.
Ce discours impopulaire détonne avec le positivisme ambiant qui semble émaner de tout LE Kamouraska. Pour Hélène, il ne s’agit rien de moins que de la naïveté et elle ne se gêne pas pour le crier sur toutes les tribunes à sa disposition, à qui veut bien l’entendre, quand elle n’est pas carrément muselée. La plupart du temps, c’est plutôt les moqueries qu’elle récolte, parfois la médisance, sinon la marginalisation. Sur ce dernier point, elle ne s’en fait pas trop. Être en marge, elle connaît. Son combat, elle ne le fait pas pour être aimée, encore moins pour être canonisée. D’ailleurs, n’y a-t-il pas déjà un Sainte-Hélène-DE-Kamouraska?
Son seul souhait est de combattre le mercantilisme qui tue son village à petit feu et dont elle craint qui ne restera plus grand-chose sinon une poignée de cendres d’ici quelques années. Et si l’ambiance devient trop insoutenable, il lui reste toujours bien son jardin, l’été, et les tomates à mettre en conserves, l’automne, dans la cuisine de sa belle patrimoniale. Parce que s’il est une chose qu’Hélène goûte bien à l’année, c’est ça, les tomates, et pas toujours les siennes…