Sophie Poulin de Courval, musicienne et créatrice insatiable, a vu sa vie basculer avec la COVID longue. Depuis plus d’un an, elle navigue à travers la fatigue accablante, la perte de concentration et les limitations physiques qui l’ont forcée à ralentir. Si la situation s’est beaucoup améliorée, celle qui a toujours carburé aux projets a dû apprendre à vivre autrement.
« Je suis née à Amqui. Ça va faire 30 ans qu’on est à Saint-Joseph-de-Kamouraska », raconte Sophie Poulin de Courval. Après ses études en musique à Québec, Sophie et son conjoint Sylvain Roy, préfet de Kamouraska, se sont installés dans notre région, portés par des perspectives professionnelles.
Dès son arrivée, elle s’investit dans l’enseignement, travaillant dans plusieurs écoles de musique, notamment à La Pocatière et à Rivière-du-Loup. Saxophoniste classique de formation, elle enchaîne les projets artistiques, collabore avec l’organiste Jacques Boucher sur deux albums, et crée Viens que je te raconte, une cabine téléphonique installée devant l’église de Saint-Joseph où l’on peut écouter des récits sur l’histoire du village. Une véritable machine à projets, toujours en mode solution.
Mais en novembre 2023, tout s’arrête brutalement. « J’ai attrapé la COVID en allant voir ma mère en fin de vie à Rimouski. Mon frère m’a appelée le lendemain : “Sophie, j’ai testé positif à la COVID, peux-tu te tester ?” » C’est ce qu’elle fait. Elle aussi teste positif.
D’abord bénin, le virus s’installe. Ça ressemblait à un rhume. Le temps passe, et la fatigue ne disparaît pas. « Chaque jour, c’était comme si je venais de courir un marathon. J’ai passé tous les tests : thyroïde, diabète, dépression… Tout était normal. Mon médecin m’a dit d’attendre deux mois. Si ça ne s’améliorait pas, ce serait un diagnostic de COVID longue. »
La vie sur pause
Le temps passe, l’énergie ne revient pas, et le diagnostic redouté tombe. « Je me levais, je déjeunais, je prenais ma douche, et c’était fini pour la journée. Juste monter à l’étage pour m’habiller après ma douche me demandait une pause de 20 minutes. » Pire encore, la concentration s’effrite. « Je faisais mon épicerie et je me perdais entre les allées. Je regardais ma liste sur mon téléphone, voyais l’article devant moi, et je ne savais plus où j’étais rendue. »
Et puis, il y avait cette sensation constante de lourdeur, comme si son propre corps s’était transformé en poids mort. « Chaque mouvement me coûtait une énergie folle. Me lever du canapé, aller chercher quelque chose dans la cuisine, c’était comme escalader une montagne. » À cette fatigue écrasante s’ajoutait un mal de tête persistant. « J’avais mal à la tête tous les jours, du matin au soir. Certains jours, c’était plus fort, d’autres un peu plus tolérable, mais il n’y avait jamais de pause. »
Le pire, c’était l’illusion de la guérison. « Il y avait des journées où je me réveillais en me disant, ça y est, c’est passé ! J’avais de l’énergie, je faisais le ménage, je cuisinais, je jouais un peu de musique. J’avais l’impression d’être redevenue moi-même. Mais le lendemain, je payais le prix. Complètement vidée, incapable de faire quoi que ce soit, comme un zombie. » Sophie a alors compris que cette oscillation entre espoir et épuisement faisait partie du processus. « C’est comme si ma batterie ne chargeait jamais complètement. Un jour, elle atteignait 30 %, je me sentais bien, mais dès que je faisais trop d’efforts, elle retombait à zéro. »
Classer des vis
Pour tenter de briser cette spirale infernale, Sophie a cherché des moyens d’occuper son esprit sans trop solliciter son corps. Lire ? Impossible. « Je prenais un livre, je lisais un paragraphe, et je ne me souvenais plus de ce que je venais de lire. » Jouer de la musique ? Trop exigeant. « Prendre mon saxophone, assembler les pièces, souffler dedans… Rien que d’y penser, j’étais épuisée. »
Alors, elle s’est tournée vers une activité des plus anodines, mais qui lui permettait de structurer ses journées sans se sentir inutile. « J’ai classé des vis. J’ai trié chaque vis par taille, par type de tête, par longueur. Ça peut sembler ridicule, mais ça ne demandait aucune réflexion et ça me donnait un petit objectif à atteindre chaque jour. »
La lente remontée vers une certaine normalité
À travers ce cauchemar, un élément a permis à Sophie Poulin de Courval de garder une certaine sérénité : la nature. Depuis sa maison ancestrale de Saint-Joseph-de-Kamouraska, elle pouvait observer le paysage changer au fil des saisons.
« Je regardais les champs, la neige qui tombait, le vent qui soufflait dans les arbres, les bourgeons qui apparaissaient au printemps. C’était mon seul lien avec l’extérieur. » Ce spectacle quotidien, si simple soit-il, lui a offert un ancrage, un réconfort. « Même si je n’étais pas capable de sortir longtemps, juste m’asseoir sur le balcon, sentir le soleil sur mon visage, ça me faisait du bien. »
Lentement, très lentement, Sophie commence à retrouver un certain équilibre. Mais la prudence est de mise. « Il faut que je fasse attention. Si je dépasse mes limites, je le paye pendant plusieurs jours. » Elle sait qu’elle n’est pas encore totalement remise, mais elle garde espoir. « On dit que ça prend au moins deux ans pour récupérer. Alors, je vais voir où j’en suis rendue quand ce sera mon tour. »
Apprendre à ne rien faire
L’acceptation se fait lentement. « J’ai dû apprendre à ne rien faire, ce qui est totalement à l’opposé de moi. » Sophie, qui a toujours jonglé avec mille idées, se retrouve sans projet. « J’étais incapable de prendre mon saxophone. Trop épuisant de l’ouvrir, de l’assembler, de souffler dedans. »
Heureusement, elle peut compter sur son entourage. Son conjoint comprend sa situation, et prend le relais à la maison. Sa fille, en congé pour un temps, l’aide dans les tâches du quotidien. Mais malgré cette bienveillance, le chemin est long. « Il n’y a pas de remède. Juste le repos. C’est une gestion constante de l’énergie. »
Aujourd’hui, Sophie a repris un travail à mi-temps, mais elle sait que rien ne sera plus pareil. « J’ai encore des séquelles. Après une journée d’école, je suis incapable de faire autre chose. » Pourtant, elle reste sereine. « J’ai appris à ralentir, à faire une chose à la fois. J’ai toujours été hyperactive, mais maintenant, je me parle : “Prends ton temps.” »
Si Sophie Poulin de Courval a accepté de partager son expérience, c’est pour aider et redonner espoir à celles et ceux qui seraient aux prises avec la COVID longue, qu’elle refuse de voir comme une fatalité. Elle la prend comme une leçon. « Rien n’arrive pour rien. Peut-être que c’est un message pour me faire voir les choses autrement. J’ai réalisé que courir sans arrêt n’était pas forcément la solution. »
Si elle ne sait pas encore quand elle retrouvera pleinement son énergie, elle garde l’espoir d’un retour à la normale. « Je vais voir où j’en serai dans deux ans. Mais une chose est sûre, je ne tiens plus rien pour acquis. »
Entre-temps, elle a retrouvé son saxophone et le plaisir d’en jouer. Jamais vraiment seule. Aussitôt la première note entamée, son chien l’accompagne, même s’il ne semble pas toujours respecter la tonalité.
