Un bombardier américain parti du Labrador en direction de l’Arizona rencontre des ennuis mécaniques. Le pilote aux commandes de l’avion reçoit pour instruction de larguer l’ogive nucléaire qu’il transporte à un endroit sûr afin d’éviter qu’elle n’explose avec l’appareil en plein vol. De son cockpit, l’aviateur aperçoit le Saint-Laurent, dans toute sa grandeur. Le lieu semble tout désigné. Nous sommes le 10 novembre 1950, au large de Saint-André-de-Kamouraska.
Cette bombe atomique de type Mark IV n’était heureusement pas armée. Autrement, comme le souligne l’ex-député bloquiste Paul Crête, nous ne serions pas ici pour en parler.
L’explosion qui a accompagné ce largage, non loin de l’île du Petit Pèlerin près de Saint-André, n’est tout de même pas passée inaperçue à l’époque. L’auteur Maurice Gagnon de Saint-Pacôme rapporte dans son livre « Côte-du-Sud, événements oubliés » que trois quotidiens — Le Soleil, L’Action catholique et l’Événement journal — titraient la nouvelle à la une le lendemain, sans oublier La Presse de Montréal, qui l’avait reléguée en page 25.
Le temps a ensuite fait son œuvre et l’événement a fini par tomber dans les oubliettes, sauf peut-être auprès de ceux qui l’ont vécu vers 16 h, en cette fin d’après-midi de novembre. « C’est quelqu’un qui est débarqué au bureau de comté qui m’a informé de cet événement. Il voulait en savoir davantage », se souvient Paul Crête, à l’époque député de l’ancien comté fédéral de Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques.
C’était en 2000. Art Eggleton était quant à lui ministre de la Défense nationale au sein du gouvernement libéral de Jean Chrétien à Ottawa. Paul Crête a écrit une demande d’accès à l’information au ministre. Comme le délai de prescription de 50 ans était terminé, les informations qui étaient jusqu’à ce jour tenues secrètes pouvaient maintenant être rendues publiques. La nature de la bombe a enfin été dévoilée et Saint-André a alors réalisé qu’elle avait évité l’Hiroshima.
« Il faut se remettre en contexte. On était en pleine Guerre froide et la protection du Grand Nord canadien représentait un axe de défense majeur pour l’Ouest dans ces années-là », rappelle Paul Crête.
Les tensions étaient effectivement à leur paroxysme à cette époque entre les États-Unis, l’Union soviétique et leurs alliés respectifs. L’Europe était divisée en deux depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’armée américaine avait conclu un accord avec le premier ministre canadien de l’époque, Louis Saint-Laurent, dans le but d’entreposer 11 bombes atomiques Fatman Mark IV sur territoire canadien. Celles-ci se trouvaient à la base militaire de Goose Bay au Labrador, la plus rapprochée du continent européen.
Paul Crête raconte que dans les documents rendus publics en 2000, des échanges entre les différents alliés des Américains, notamment le Canada et le Royaume-Uni, étaient rapportés et parlaient directement de l’accident du 10 novembre. « On avait visiblement tout fait pour étouffer l’affaire », poursuit-il, ajoutant avoir été heureux d’être la courroie de transmission auprès de la population de ces informations jadis tenues confidentielles.
Commémoration
À Saint-André-de-Kamouraska, la Municipalité a tenu à rappeler le 70e anniversaire de cet événement. Paul Crête s’en réjouit, car il permet de rappeler la fragilité de la paix mondiale et la dangerosité des armes nucléaires pour notre monde.
Le maire Gervais Darisse abonde dans le même sens. « Cet incident constitue un fait marquant de l’histoire de notre village et sa commémoration, 70 ans après, est l’occasion de nous rappeler les risques liés à l’utilisation du nucléaire. Il est important de remettre les choses dans leur contexte : à l’époque, le nucléaire était l’avenir alors qu’aujourd’hui, nous aspirons à une société qui en soit exempte », écrit-il par voie de communiqué.
Précisons que la Municipalité de Saint-André-de-Kamouraska avait déjà rappelé son opposition au nucléaire par le passé, en s’associant le 26 septembre 2015 à la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires.