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Samuel Adjin veut mettre La Pocatière « sur la map »

Se décrivant lui-même comme extraverti, Samuel adore partager son expérience, surtout avec les jeunes. Photo : Marc Larouche

À 20 ans, Samuel Adjin de La Pocatière s’apprête à franchir une frontière que peu d’athlètes québécois osent imaginer franchissable. Il jouera l’an prochain pour les Eagles de l’Université Eastern Michigan, une équipe de la très compétitive National Collegiate Athletic Association (NCAA) qui organise les programmes de nombreuses écoles aux États-Unis. Cette percée spectaculaire a été réalisée grâce à un parcours façonné par la passion dans l’effort, l’envie constante de se dépasser, et une belle humilité.

« J’avais cinq ans quand je suis arrivé à La Pocatière avec ma mère pour rejoindre mon père Mino, déjà installé ici pour ses études et son travail », dit-il. C’était il y a quinze ans. Son premier sport a été la natation. « C’est mon père qui m’a appris. Ensuite, j’ai touché à tout : patinage artistique, hockey, soccer, baseball, mais c’est le football qui m’a accroché. Le jeu, l’intensité. Physiquement, je voyais que je pouvais faire quelque chose. »

Il commence avec les Mini-Gaulois en cinquième année, puis évolue avec l’équipe de la polyvalente de La Pocatière, un programme où il joue à neuf contre neuf. En cinquième secondaire, plusieurs écoles l’approchent. Il choisit le Campus Notre-Dame-de-Foy à Saint-Augustin-de-Desmaures, « pour la qualité de son personnel d’encadrement et l’esprit d’équipe. Je me suis senti chez moi. »

Il débute sur la ligne défensive, mais après un passage plus difficile, son entraîneur lui propose un changement de position à l’offensive. « J’ai pris l’opportunité. Et l’année passée, ça a vraiment été une grosse saison pour moi. »

Puis, son destin prend une tournure fulgurante, alors qu’il traverse la frontière pour participer à neuf camps d’entraînement aux États-Unis. « J’étais censé partir une semaine, finalement, j’ai fait trois semaines. Des visites, des camps, du concret. » Résultat : six offres d’universités de la NCAA.

Son choix s’arrête sur Eastern Michigan. « Depuis que la nouvelle est sortie, tout a changé. On me parle, on m’invite à rencontrer des jeunes, à donner des conférences. Je suis quelqu’un d’extraverti, j’aime parler au monde, surtout aux jeunes. Ce sont eux notre futur. Si je peux les motiver en m’adressant à eux, c’est tant mieux. »

Fidèle à ses racines

S’il accepte ce nouveau rôle de modèle avec fierté, il n’en reste pas moins fidèle à ses racines. À preuve, il a été le premier à donner à la campagne de financement populaire pour rouvrir la piscine de La Pocatière. « Honnêtement, je voudrais que la piscine rouvre. Quand je descendais chez mes parents, ça m’étonnait que ce soit fermé. C’est important pour les jeunes, pour la récupération. »

Samuel insiste. Le succès ne se construit pas que sur le terrain. « Tout part de ce que tu fais en dehors du sport. Si ton coach te donne un programme, fais-le. Sinon, c’est toi qui perds, pas lui. »

Malgré son ascension fulgurante, Samuel ne perd pas de vue l’essentiel. Il veut gagner un Bol d’or cette année avec son équipe du CNDF. Il veut continuer d’inspirer. Et surtout, il veut faire rayonner sa ville d’adoption. « Mon but en jouant au football, c’est de mettre La Pocatière sur la map. Et c’est ce que j’essaie de faire le plus possible. »

En le voyant foncer vers l’avenir, on comprend que pour Samuel Adjin, le rêve américain n’est pas un mirage. C’est un horizon qu’il continue de construire, où tout est possible.

Mino Adjin : la fierté d’un père

Mino Adjin est fier du parcours de son fils Samuel. Photo : Marc Larouche

Lorsqu’on demande à Mino Adjin ce que représente la récente signature de son fils Samuel avec les Eagles de l’Université Eastern Michigan, son regard s’illumine. « C’est complètement fou. Un rêve qui devient réalité ! »

Parce qu’il y a un mois à peine, personne dans les réseaux de recrutement de la NCAA ne connaissait le nom de Samuel Adjin. Aujourd’hui, il est dans l’alignement d’une université de division 1 états-unienne. Pour son père, ce changement soudain est la récompense d’un virage que son fils a pris avec conviction. « Depuis un an et demi, il a changé sa façon de travailler. Il était tout le temps au gym, il écoutait ses coachs. Il a adopté une discipline de vie qui a ouvert les portes. »

C’est d’ailleurs ce que les entraîneurs ont remarqué. « Le coach du Michigan nous a dit : “Il y a deux semaines, on ne te connaissait même pas. On recrute normalement sur deux ans. Et toi, t’es déjà avec nous”, c’est vraiment un big deal », ajoute Mino, enjoué, précisant que ce parcours exceptionnel n’est rien de moins que la manifestation d’un alignement parfait.

« C’est le plan de Dieu. Tout est arrivé au bon moment. Les bonnes personnes, les bons camps, la bonne attitude. Et quand un coach dit qu’il veut travailler avec ton fils parce qu’il est “coachable”, parce qu’il écoute, comme parent, c’est indescriptible. Tu y mets des valeurs, mais tu ne sais jamais comment ça va sortir. Là, tu vois que ça porte fruit. », ajoute cet immigré togolais, venu à La Pocatière pour les études et le travail.

« Je n’aurais jamais imaginé que ma famille allait un jour faire rayonner cette petite ville jusque sur les terrains du Midwest américain. Au camp de l’Indiana, pour eux, le Canada, c’était overseas. Et là, on parle du Canada, du Québec, de La Pocatière grâce à un de nos jeunes. Mon fils. C’est fabuleux ! »

Tout est possible

Derrière cette réussite, c’est tout un message que Mino souhaite passer. « Moi, je crois toujours que tout est possible. Si tu t’investis dans ce que tu fais, que tu y mets l’énergie pour les bonnes raisons, ça va porter fruit. Aujourd’hui, il n’y a plus de frontières. Avec les réseaux, tout se sait, tout se voit. »

Ce père, autrefois simple spectateur de football, découvre aujourd’hui toute la complexité et la rigueur du sport de haut niveau. Il se sent privilégié de vivre cette aventure, autant pour son fils que pour sa communauté. « On m’appelle, on m’écrit, même les coachs me contactent pour savoir ce qu’on fait, où on en est. On parle de Samuel, mais on parle aussi de La Pocatière au Michigan. C’est un cadeau incroyable à offrir à notre ville. »

Quand on lui demande s’il va suivre son fils à travers ce nouveau chapitre, sa réponse ne se fait pas attendre. « Je n’aurai pas le choix. J’ai déjà fait 18 heures de route pour l’Indiana. On est parti un mardi à 10 h, on est arrivé à 5 h du matin le lendemain. » Et il le referait sans hésiter.

Au-delà du succès et de la possibilité d’une future carrière dans la National Football League (NFL) pour son fils, Mino retient surtout la richesse du parcours. « Qu’il se rende dans la NFL ou pas, ce n’est pas ça l’important. Ce qui compte, c’est le chemin. Qu’il le vive pleinement. Qu’il s’amuse. Si ça aboutit, tant mieux. Sinon, il aura quand même vécu quelque chose d’énorme. »

Et c’est justement ce legs que Mino voit se transmettre. « Les gens de La Pocatière nous ont accueillis les bras ouverts. Ils m’ont donné toutes les chances. J’ai eu une belle carrière. Et maintenant, c’est mon fils qui prend le relais. Merci la vie, tout simplement. »

Partir de loin pour aller loin

La réussite sportive de Samuel est le remarquable aboutissement du long parcours migratoire de la famille Adjin, marqué par la résilience, l’ouverture et l’engagement. L’histoire mérite d’être racontée.

Mino Adjin est né à Lomé, au Togo, une ville de la taille de Montréal. Après des études en agroéconomie à l’Université de Lomé, il cherche un endroit où faire sa maîtrise, et peut-être un doctorat. Un ami lui a parlé de l’Université Laval, dont le programme de développement rural rejoignait sa conception de la recherche basée sur l’expérience terrain.

Il obtient une bourse d’excellence de l’Agence universitaire de la francophonie, et part pour le Québec alors que son épouse, Rose Agouze, est enceinte de quatre mois. Dès son arrivée, il est frappé par la qualité de l’accueil qui lui est fait. « Ils m’ont jumelé à une personne qui habitait Québec. Ce contact m’a beaucoup aidé à apprivoiser les façons de vivre ici, où tout était nouveau pour moi ! »

Alors qu’il avait planifié de retourner au Togo rejoindre Rose — qui avait entre-temps accouché de Samuel —, Mino obtient un stage à l’UPA de La Pocatière. Il y fait la connaissance de Johanne Laplante, dont l’amour pour sa région a été contagieux. Son stage s’est prolongé dans un emploi permanent, et l’envie de rester est née.

Encore une fois, ses nouveaux amis l’épaulent dans ses démarches pour obtenir la résidence permanente, une démarche qui prendra trois ans. Pendant ce temps, Samuel grandit, et Rose se languit de voir sa famille enfin réunie. « À l’autre bout du monde, elle ne voyait pas le processus avancer, et j’ai dû la rassurer souvent pour qu’elle garde confiance en moi ! », évoque Mino. Il salue d’ailleurs le travail de Bernard Généreux et d’Annie Francœur, qui ont facilité les choses auprès du ministère de l’Immigration.

Des défis à relever

Il faudra deux autres années pour compléter les démarches de réunification familiale. Quand la famille est enfin réunie, Samuel a cinq ans. Entouré de son père et de sa mère, le jeune garçon prend le virage québécois de main de maître, adoptant au passage un superbe accent du Bas-du-Fleuve. « L’école Sacré-Cœur nous a beaucoup aidés, rappelle Mino, en offrant à Samuel le soutien dont il avait besoin. » Mino, de son côté, a dû apprendre à devenir père malgré les années échappées.

Pour Rose, le parcours a été plus laborieux. « Elle n’avait pas fait le choix d’immigrer, elle m’a rejoint, c’est très différent. » En plus de devoir s’adapter à une société qu’elle ne connaissait pas du tout, Rose a vécu trois grossesses ectopiques, avec leur lot d’émotions douloureuses, sans le soutien de sa famille élargie, comme elle l’aurait eu au Togo. La famille a vécu des moments difficiles, mais a tenu bon.

Puis, à la joie de tous, Rose mène à terme sa cinquième grossesse, et Lætitia vient compléter la famille en 2014. « Lætitia, c’est une vraie fille d’ici, s’exclame Mino. Elle fonce, elle fait de la musique, du patin, elle est curieuse, et prend la vie à bras le corps ! »

Pari migratoire gagné

Quand il regarde le parcours de sa famille, Mino n’a qu’un mot : « Wow ! ». Aujourd’hui, les Adjin se sentent pleinement Pocatois, et mesurent la valeur du cadeau que leur a fait la vie en les menant vers une société où ils ont pu se réaliser pleinement. « Je sens que nous sommes membres à part entière de la communauté, et c’est grâce à l’accueil des gens d’ici. Je trouve ça beau. »

Alors que les acteurs politiques instrumentalisent nos différences pour gagner quelques votes, l’expérience de la famille Adjin fait la preuve qu’avec du respect, de la bonne volonté, beaucoup de travail et de la bonne humeur, la rencontre entre les peuples est une source de fierté et de bien-être pour tous, pour peu qu’on prenne le temps de se connaître.

Laissons à Mino le mot de la fin : « Je vois l’immigration comme un pont, où chacun est sur sa rive, avec l’objectif de se rencontrer au milieu, là où les différences ne sont plus un obstacle, mais une occasion de grandir, comme société, mais aussi comme humain, tout simplement. »

Rose, Samuel, Lætitia et Mino sur le terrain. Photo : Courtoisie