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Steak, blé d’Inde, patates

Pierre Poilievre était de passage à Rivière-du-Loup. Photo : Marc Larouche

Attache ta tuque. Même si j’ai l’air de la chienne à Jacques, j’ai pas les mains pleines de pouces, et j’ai jamais été assis sur mon steak.

Tout le monde a compris? Pierre Poilievre, non. Pourtant, l’anglophone de Calgary s’exprime avec aisance dans la langue de Molière. Mais il ne suffit pas de parler français pour connaître la culture québécoise. À son passage à Rivière-du-Loup, il a répété son discours habituel. Faisant office d’animatrice de foule, son épouse amorçait les applaudissements. Anaida Poilievre, d’origine vénézuélienne, a grandi à Montréal. Vantant sa présence à ses côtés, il aurait pu lui dire : « Une chance qu’on s’a », mais il ne savait pas. Le député Bernard Généreux lui a lancé qu’il aurait des « Air-lousses ». Poilievre a souri, mais n’a pas compris.

« Supportons nos troupes, défendons notre liberté », a-t-il lancé en fin de discours, paraphrasant les Donald Trump de ce monde. Puis, un « Go Oilers » bien senti. Rien sur la Saint-Jean qui avait lieu deux jours plus tard, la fête nationale du peuple qu’il veut conquérir à grands coups de t-shirts « Gros bon sens », du reste une expression québécoise. Ça, il le sait. Mais en connaît-il le sens? Si on possède le gros bon sens, on possède LA vérité. Donc, si vous ne pensez pas la même chose, vous êtes un cave. C’est ce qu’il nous répète avec le sourire. C’est encore plus insultant. Et on l’applaudit en plus.

Après la rencontre, en musique d’ambiance, Éric Lapointe s’arrache les poumons à chanter N’importe quoi, comme une réponse à la mise en scène grotesque à laquelle on venait d’assister. J’ai ri. Le chef ne sait-il pas que le chanteur est au purgatoire? En entrevue, dans une salle privée, le journaliste est seul avec lui et une caméra à deux pouces de son nez. Je fais de la télé depuis 40 ans. La caméra a encore un effet intimidant. J’ai déjà donné dans la chose politique. Je sais que rien n’est laissé au hasard. L’effet déstabilisant de la caméra, l’organisation savait.

La question piège

J’avais pensé à une question peu conventionnelle. Ne sachant pas comment la lui poser, j’allais conclure, lorsque j’ai eu l’idée de lui demander quel était son plat québécois préféré. « J’aime bien un bon steak avec des patates. » Et voilà que c’est lui qui ouvre toute grande la porte à ma « question idiote ». J’entre.

« Vous savez qu’entre le steak et les patates, vous ajoutez un ingrédient, et vous avez un mets typiquement québécois? » Regard de chevreuil effarouché vers sa femme, qui lui crie: « Du blé d’Inde. Un pâté chinois, ben oui, voyons, steak, blé d’Inde, patates! », dit-elle sur le ton de l’évidence. Parce que oui, pour tous, c’est une évidence. Pas pour Pierre Poilievre. Il ne connaît pas la culture québécoise. Si quelqu’un tente de vous séduire en faisant semblant, vous allez vous méfier. Ça peut marcher, mais ça ne dure jamais longtemps. S’il veut s’imposer, il fera peur. C’est exactement ce que disent les sondages sur lui au Québec.

« Il n’a pas besoin de savoir ce qu’est un pâté chinois pour diriger le pays, voyons donc », direz-vous. C’est vrai. Mais il besoin de le savoir pour nous comprendre. Pierre Poilievre est lui-même : vrai, authentique, intelligent, sympathique, cultivé, mais c’est un Albertain qui fait semblant de connaître notre culture. Il manque un ingrédient essentiel à sa recette : le blé d’Inde, la culture qui unifie et transpire dans tous les aspects de nos vies.

Pierre Poilievre ne semble pas y avoir pensé. Pourtant, n’est-ce pas la base, de connaître le peuple que l’on veut diriger? Si ce n’est pas du gros bon sens, c’est au moins du respect. Il aurait pu dire qu’il aimait les hot-dogs. Ça aurait au moins fait un peu plus québécois. Yves-François Blanchet sait ce que c’est, et grâce à son père, Justin Trudeau aussi. Pas pour les bonnes raisons, mais bon.

Par appui ou par dépit, nous risquons hélas d’être gouvernés par quelqu’un qui aura le pouvoir de décider de ce qui nous convient, selon sa propre perception du gros bon sens. Ainsi va la p’tite vie.

Si l’arbre savait ce que lui réserve la hache, il ne lui aurait pas fourni le manche. — Boucar Diouf.

Monsieur le député, faites honneur à votre nom. Soyez généreux et offrez ce livre à votre chef.