Le syndrome de Maria Chapdelaine

Il n’est pas rare de voir un « cultivateur à l’ordre » entreprendre de nettoyer une partie de ses terres, arracher les haies de fardoches qui ont poussé le long des clôtures — et les clôtures elles-mêmes maintenant inutiles depuis que les animaux ne vont plus dehors — faire disparaître les îlots boisés et les grosses roches, assécher et drainer les fonds humides, raser le bord des fossés et des ruisseaux, défricher les recoins pour faciliter le passage des machines et gagner un peu de terre cultivée.

On pourrait appeler ça le syndrome de Maria Chapdelaine, qui parlait de « la lisière sombre de la forêt si proche qu’elle semblait une menace » et dont la mère isolée dans les bois de Péribonka rêvait tout haut du « beau terrain planche aussi loin qu’on peut voir », de sa paroisse d’origine, Saint-Prime, « pas de crans ni de bois, rien que des champs carrés avec des clôtures droites, de la terre forte, et les chars à moins de deux heures de voiture ».

Le problème, c’est que cette manie du nettoyage, qui peut sembler avisée, supprime toutes les protections naturelles des sols et des cultures. En supprimant, les haies, les boisés, les milieux humides et les bandes végétales des fossés et des ruisseaux, on supprime les animaux et les oiseaux qui assurent l’équilibre des prédateurs et on élimine tous les mécanismes naturels de rétention et de filtrage des eaux. On ouvre aussi toute grande la voie à l’érosion de l’humus à la superficie du sol par les vents et l’écoulement des eaux de surface. Pour compenser la perte de ses protections naturelles, il faudra multiplier les applications d’engrais et de pesticides. Et tous ces polluants se retrouveront rapidement dans les cours d’eau (ou la prise d’eau municipale si elle est située dans le versant en question). Ce faisant, on ronge constamment la couverture boisée du territoire qu’on habite, avec les conséquences qui s’en suivent pour l’équilibre des prédateurs, pour l’érosion, la rétention et l’écoulement des eaux, surtout lors de pluies abondantes. Sans compter le rôle des boisés pour capter le CO2 et retarder le réchauffement du climat… et le paysage qui en prend un coup.

Les anciens défricheurs avaient compris ça : ce n’est pas seulement parce qu’ils n’avaient pas de « pépines » qu’ils avaient fait le tour de ces îlots humides, rocheux ou boisés.

En d’autres mots, les déserts verts, ce n’est pas de l’agriculture durable ni rentable. Le coût à moyen terme de ces « coupes à blanc agricoles » est élevé et c’est un mauvais calcul. L’agriculteur qui ne sait pas préserver l’écosystème des terres qu’il cultive agit comme celui qui scie la branche sur laquelle il est assis.

Roméo Bouchard, Saint-Germain-de-Kamouraska