La nouvelle mairesse de Kamouraska Anik Corminboeuf a tenu parole et elle remettra son salaire d’élue à la communauté, un peu plus de 10 000 $ annuellement. Il s’agit d’un geste très généreux de sa part, mais qui lorsque mentionné envoie malheureusement un mauvais message quant à la valeur du travail effectué par nos élus municipaux.
Les raisons qui poussent Mme Corminboeuf à procéder de la sorte lui appartiennent et elle n’a pas à se justifier le moins du monde. Il faut aussi dire que ce genre de pratique n’est pas nouvelle non plus. À Saint-André-de-Kamouraska, certains élus remettent une partie de leur salaire dans un fonds créé à cet effet. Dans la région de Montréal, La Presse abordait récemment un mouvement chez les nouveaux maires s’engageant à diminuer leur salaire annuel d’élu, dans certains cas plus élevé que le poste du premier ministre du Québec !
En ce sens, l’engagement de Mme Corminboeuf n’est pas nécessairement « déphasé » avec ce qui se passe actuellement dans la province. Le problème est que la fonction d’élu est souvent sous-payée dans les petites municipalités comme la sienne et que refuser de toucher pleinement le salaire anémique qui en découle n’aide en rien à le rappeler. Au contraire, cela perpétue l’idée qu’il est normal d’avoir le cœur sur la main lorsqu’on fait de la politique municipale, voire qu’il s’agit de quelques heures de bénévolat à donner à sa communauté. C’est un bien mauvais message envoyé quant à la valeur de la démocratie municipale, d’autant plus qu’il y a longtemps que le salaire risible de nos élus en échange d’un engagement démesuré est pointé comme un frein à l’implication démocratique.
Prenons simplement la MRC de Kamouraska. Des 18 municipalités, en incluant la municipalité régionale de comté, c’est le poste à la préfecture qui offre les conditions salariales les plus intéressantes, un peu plus de 75 000 $ en 2019. Où y avait-il le plus de candidats à se précipiter à la dernière élection ? Les motivations salariales ne sont certainement pas les seules qui ont encouragé autant de candidats — trois jusqu’au désistement de Gervais Darisse — à briguer la préfecture cette année. Mais il serait surprenant que le salaire n’ait pas été un incitatif qui a pesé dans la réflexion des candidats, surtout lorsque l’on constate le nombre particulièrement élevé d’élections par acclamation dans les municipalités kamouraskoises.
Prenons maintenant Saint-Pascal, où les candidatures ne se sont pas bousculées aux portes. La deuxième ville du Kamouraska devra jongler pour les prochaines années avec une mairesse à temps partiel en la personne de Solange Morneau, également directrice générale de Co-éco. À moins de 25 000 $ par année sans l’allocation de dépense, on la comprend de ne pas vouloir abandonner sa carrière en parallèle pour se dévouer corps et âmes à sa nouvelle fonction politique. Et pourtant, ce n’est certainement pas les dossiers et les enjeux qui manquent pour occuper à temps plein une mairesse d’une ville de centralité comme Saint-Pascal !
À titre comparatif, le gérant d’un A&W a un salaire de départ de 35 000 $ qui peut grimper jusqu’à 50 000 $ s’il dispose d’une expérience professionnelle préalable. L’idée n’est pas ici de dévaloriser le travail d’un gérant d’une succursale de restauration rapide, mais simplement de démontrer que le poids des responsabilités de nos élus municipaux est énorme, ne serait-ce qu’en matière d’imputabilité envers leurs concitoyens et de redditions de comptes auprès des paliers de gouvernements supérieurs. Ce travail est sans commune mesure avec d’autres fonctions aux finalités beaucoup moins déterminantes dans le quotidien des gens, mais dans pratiquement tous les cas toujours mieux rémunérés.
Bien sûr, il y a toujours possibilité pour les élus d’augmenter leur salaire, c’est quand même eux qui l’établissent par vote au conseil. Il n’en demeure pas moins que les critères qui le déterminent sont bien arbitraires et qu’il sera toujours plus payant politiquement de défendre auprès des contribuables une diminution qu’une augmentation salariale. Pas étonnant que la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest souhaite maintenant mieux baliser la chose et que la politique municipale soit encore aujourd’hui souvent la chasse gardée des retraités, des personnes indépendantes de fortune ou des entrepreneurs en affaires disposant d’horaires flexibles et d’associés fort compréhensifs.
Revenons maintenant à Kamouraska. Mme Corminboeuf voit son salaire d’élue comme un « budget discrétionnaire ». Là où s’arrête la discrétion est qu’elle expose comment elle entend en disposer. À quoi bon en parler si ce n’est pour se faire du capital politique auprès des payeurs de taxes de Kamouraska ? Si elle ne souhaite pas être rémunérée du tout pour le travail qu’elle fera à titre de mairesse, cela la regarde. Mais maintenant que cela a été dit, bonne chance aux autres conseillers municipaux de Kamouraska qui voudront toucher – avec raison – pleinement leur maigre salaire en échange de bons services rendus à la Municipalité… sans avoir l’air trop chiche.