Citoyenne canadienne pour Noël

Julie-Christine Hélas contemple les décorations de son sapin de Noël. Photo : Maxime Paradis.

Enracinée au Kamouraska depuis bientôt 10 ans, Julie-Christine Hélas est originaire de la partie francophone de la Belgique (Wallonie). Si quelques rares intonations de son accent trahissent à l’occasion ses origines européennes, l’aisance avec laquelle elle s’est approprié sa région et son pays d’adoption donne l’impression qu’elle y a toujours habitée. Et pourtant, sa citoyenneté canadienne ne lui a été octroyée que tout récemment.

La belle ancestrale de Julie-Christine à Mont-Carmel transpirait l’odeur de la pâtisserie fraîchement sortie du four. « J’ai fait des cougnous. Goûte », insiste-t-elle, tout en déposant sur la table la grille qui a servi à la cuisson.

Cette pâtisserie traditionnelle belge typique du temps des fêtes, la grand-mère de Julie-Christine en cuisinait tous les ans. Sa mère, elle, les achetait plutôt à la boulangerie. Sa sœur et elles ont depuis repris la tradition de les cuisiner, chacune de leur côté.

« La forme du cougnou est censée représenter l’Enfant Jésus emmailloté. Ce n’est plus très évident une fois cuit, mais c’est surtout très simple à faire : œufs, sucre, farine, levure, lait. Tu laisses lever et t’ajoutes ensuite les raisins secs et le sucre en granule », enchaîne-t-elle.

Le café servi et le cougnou dégusté, Julie-Christine est maintenant prête à se raconter.

Premiers contacts

Dans la mi-trentaine, Julie-Christine Hélas est originaire de Nassogne, un petit village pas plus grand que son Mont-Carmel d’aujourd’hui. Elle est entrée en contact avec le Québec et la région dès son tout jeune âge, par le biais d’un oncle qui habite toujours Québec (Beauport) et qu’elle a visité à quelques reprises durant sa tendre enfance. D’un de ces voyages, elle se rappelle les rues animées par le Festival d’été de Québec. D’un autre, elle conserve des souvenirs flous d’un bref passage à Saint-Germain-de-Kamouraska et Saint-Roch-des-Aulnaies.

« J’étais loin de me douter à cet âge que j’allais immigrer ici, encore moins dans la région. Je me souvenais d’avoir mangé dans un restaurant et d’avoir visité un moulin dans un de ces voyages, mais c’est seulement après avoir emménagé dans le Kamouraska et consulté les albums de scrapbooking de ma mère par la suite que j’ai réalisé que le restaurant était celui de Saint-Germain et le moulin celui de la Seigneurie des Aulnaies. »

Même si à l’aube de l’adolescence elle descendait la rue de Masbourg, lors du Carnaval de Nassogne, avec accrochés à son dos des drapeaux du Québec et du Canada, Julie-Christine ne se destinait pas encore à une vitre outre-Atlantique, mais plutôt à celle d’archéologue. Un Québécois venu faire une année d’étude en Belgique est venu tout chambouler.

« Alexandre et moi avions un ami en commun et je lui avais proposé de lui faire découvrir le folklore belge. J’étudiais à Namur à l’époque, et lui, à Bruxelles. On prenait le train pour se retrouver. On s’est lié d’amitié, on était bien ensemble et on n’a plus jamais eu le goût de se quitter. »

La romance dure depuis 15 ans. Un mariage et deux enfants sont depuis venus solidifier leur vie à deux. Mais comme toute bonne histoire d’amour de notre époque, la réalité, ici l’immigration, une variable qui ne s’immisce jamais dans les contes de fées qui nous sont racontés enfants, a vite rattrapé les deux tourtereaux.

Ainsi, Alexandre est rentré au Québec terminer ses études, avant de revenir travailler en Belgique un an. Son certificat de résident permanent ayant été refusé, il n’a eu d’autres choix que de revenir au pays. Un an de plus s’est alors écoulé avant que Julie-Christine obtienne de son côté le permis vacances travail lui permettant de le rejoindre au Canada. Elle est arrivée à Montréal la veille de Noël en 2010, à 23 h 30.

« J’ai quitté la Belgique en n’ayant même pas complété mon mémoire de maîtrise. J’avais passé mes derniers jours là-bas à la bibliothèque à prendre des photos dans des livres question de le terminer au Québec. Je suis arrivée au Canada en étant certaine que c’était pour un an, mais finalement je ne suis jamais repartie. »

Le deuil

Un café de plus, un autre cougnou et Julie-Christine parle du deuil de l’archéologie. Que l’immigration soit volontaire ou non, la réalité du deuil face à sa vie d’avant qu’on s’imaginait prometteuse est souvent un processus par lequel les immigrants passeront à un moment ou à un autre.

« L’archéologie, pour moi, c’était toute ma vie. Quand j’ai quitté la Belgique, il y avait des opportunités qui m’attendaient dans mon domaine. Même si j’ai volontairement fermé ces portes qui s’ouvraient à moi en venant ici, accepter ça, ça m’a pris du temps, une bonne année je dirais. »

L’emménagement au Kamouraska a en quelque sorte été le baume sur cette carrière à laquelle elle a renoncé. Installés à Trois-Rivières, ville d’où Alexandre est originaire, Julie-Christine et lui s’étaient entendus sur une migration en région, un projet de vie commun qui devait permettre son enracinement à elle. Le Kamouraska s’est imposé tout doucement comme cette terre promise.

Depuis, Julie-Christine a d’abord pris la voie du développement régional avant que son cheminement professionnel ne la conduise à jongler maintenant avec la réalité de l’immigration au quotidien à la MRC de Kamouraska, une réalité qu’elle connaît bien et qu’elle s’efforce de rendre plus facile pour ceux qui passent par le même chemin qu’elle, en travaillant à rendre sa région d’adoption encore plus accueillante.

« S’enraciner, c’est possible quand tu es en mesure de te projeter dans l’avenir. C’est ce que j’ai vécu quand on a emménagé ici », ajoutant ne pas avoir de regrets face à sa réorientation professionnelle.

Citoyenne canadienne

Il reste encore quelques cougnous. Tout comme le café, en prendre un de plus serait de l’abus. Julie-Christine entre dans le vif du sujet, la citoyenneté canadienne. Ce chemin parfois parsemé d’embûches demande beaucoup de patience et de détermination. Pour elle, le processus s’est échelonné sur 11 ans.

Arrivée avec en poche un permis vacances travail, elle a entamé les démarches pour la résidence permanente dès 2011, chose qu’elle a obtenue en 2013. Quand il était désormais possible d’appliquer à la citoyenneté canadienne, elle a décidé de tout mettre sur pause.

« À ce moment, la Belgique ne permettait pas encore d’avoir une double nationalité. Pour moi, renoncer entièrement à ma citoyenneté belge, c’était beaucoup. »

Elle a finalement attendu. Entre-temps, le gouvernement belge a autorisé la double citoyenneté. En décembre 2019, elle faisait officiellement sa demande pour devenir citoyenne canadienne, mais la pandémie s’est ensuite invitée et des retards se sont accumulés à l’immigration. Ce n’est qu’au printemps 2021 qu’elle a été convoquée à l’examen et le 23 novembre dernier qu’elle a été invitée à la cérémonie virtuelle où elle a prêté serment.

« J’ai porté allégeance à la reine comme il se doit et j’ai aussi chanté l’Ô Canada. On était 130 à le faire en même temps virtuellement, avec un certain décalage dans le temps et dans la justesse à cause de la connexion internet de chacun. C’était probablement le pire hymne national jamais entendu de l’histoire, mais tout le monde riait et c’était très drôle », dit-elle avec humour.

Il ne manque maintenant qu’à Julie-Christine son certificat officialisant sa citoyenneté canadienne. Ce qu’elle ignorait au moment où elle a croqué dans son dernier cougnou, c’est qu’il l’attendait déjà dans sa boîte postale, chose qu’elle a découverte quelques heures plus tard. Ainsi, 11 ans jour pour jour après son entrée au pays, elle pourra certes célébrer Noël comme elle l’a déjà fait auparavant, mais cette fois en étant une vraie citoyenne canadienne.

Julie-Christine dans les rues de Nassogne en Belgique, à l’aube de l’adolescence. Photo : Courtoisie Julie-Christine Hélas.
Julie-Christine a reçu son certificat officialisant sa citoyenneté canadienne en fin de journée le 10 décembre. Photo : Courtoisie Julie-Christine Hélas.
Les cougnous cuisinés par Julie-Christine. Photo : Maxime Paradis.