La renaissance de Pointe-Sèche

Photo: Mireille Lessard

J’écris ce texte après avoir assisté au spectacle enchanteur du Cirque de la Pointe-Sèche.

La Pointe-Sèche, c’est cette pointe de la « Montagne du Mississipi », qui s’avance jusqu’au fleuve, à Saint-Germain.

C’est là qu’était situé le manoir de la Seigneurie de St-André, dite de l’Islet-du-Portage (1670). Quand les rebelles de Saint-Germain décidèrent, en 1883, de se tailler une paroisse à même les paroisses de Kamouraska, Ste-Hélène et St-André, au désespoir des curés et du Cardinal Taschereau, qui les excommunia, la Pointe-Sèche s’est retrouvée à St-Germain-de-rien!

L’endroit était tout sauf banal. Au début des années 1800, on y trouvait un village de plus de 100 personnes, des Roy dits Desjardins pour la plupart. On y construisait des goélettes avec des pins et des chênes qu’on coupait dans la montagne. En 1779, quand le Seigneur Malcom Fraser eut fait faillite (son fils fonda Rivière-du-Loup), la Seigneurie27 fut rachetée par un commerçant de bois anglais, Saxton Campbell, qui entreprit d’exporter en Angleterre le bois du domaine de 300 arpents et celui des pinières de Ste-Hélène, d’où la construction du Chemin du Petit-Saut, qui relie encore le Manoir au rang Mississipi. Il y fit construire un Manoir extravagant (1840), sorte de villa toscane à la mode des pagodes chinoises, des dépendances, un moulin à eau avec une roue de 30 pieds, et une jetée d’un kilomètre dont il ne reste qu’une petite pointe de terre.

Campbell abandonna finalement le domaine à une famille amie en 1879, John Rankin, qui l’utilisa comme maison de vacances, car l’arrivée du bateau à vapeur et du chemin de fer entraîna le déclin du village de Pointe-Sèche, et le Manoir fut livré, jusque dans les années 1970, au pillage des brocanteurs et des motoneigistes.

La renaissance quasi miraculeuse de la Seigneurie et de la Pointe-Sèche allait venir en 2008 lorsqu’un jeune homme de 30 ans, originaire de l’Estrie, qui avait parcouru le monde avec le Cirque du Soleil, décida de s’y installer et entreprit de rénover le Manoir en ruine, de ses propres mains, avec des amis bénévoles, selon les techniques mêmes de l’époque.

Le dernier Seigneur de Pointe-Sèche s’appelle donc Élyme, comme le seigle de mer. Et il s’est mis en tête, à 40 ans,  de créer un Cirque de toutes pièces, qui évolue sur les parois rocheuses féériques du Cabouron qui rejoint la route 132 à cet endroit, et ce Cirque est en train, malgré les aléas de la pandémie, de conquérir la région et le Québec. Et pour alimenter le tout en artistes et acrobates, au grand bonheur des jeunes, Élyme a pris possession de l’église de St-Germain pour  y installer une École de cirque, un Atelier de céramique, une paroi d’escalade, de quoi faire converger à Saint-Germain-les-Cabourons, le Québec tout entier!

Il n’y a plus de moulin ni de chantier naval à la Pointe-Sèche, mais il y a  maintenant un Manoir tout neuf, des  perchoirs vitrés pour touristes aventuriers, un Cirque et tout son petit monde d’artistes, les Jardins de la mer de Claudie, le vignoble et les blés du Raku de Samuel, des gites et auberges, la célèbre Brasserie Tête-d’Allumette tout près, et surtout, un Seigneur rassembleur, calme  et souriant, maître d’œuvre audacieux et talentueux, avec sa femme et ses deux petites filles, qui voit chaque soir le soleil se coucher sur le fleuve, au son de la musique du cirque.

J’ai rêvé cette nuit que je marchais sur les parois rocheuses, que je volais au-dessus de la tête des grands pins, que je dansais avec Guillaume sur son fil de fer et que je m’évadais de la mine de charbon avec Icare, porté par les ailes de mes frères, au son des tambours de Maxime. « Ce que j’aime dans le cirque, m’avait dit Élyme, c’est que les gens font des choses qu’on croyait impossibles! ».

Et j’ai vu l’impossible.