L’heure est grave. Le Parc nautique Saint-Jean-Port-Joli continue d’assister, impuissant, à l’envasement de sa marina. Alors qu’il réussit tant bien que mal à garder « à flot » une partie de l’infrastructure, il craint qu’un point de non-retour soit bientôt atteint si rien n’est fait.
Le regard tourné vers le nord-est, on ne sait si Alain Fradette regarde l’amas de vase accolé au quai de Saint-Jean-Port-Joli et qui prend désormais plutôt l’allure d’une butte en plein cœur de sa marina, ou s’il a plutôt les yeux tournés vers L’Isle-aux-Coudres de l’autre côté du fleuve, là où l’ensablement a fini par avoir raison du parc nautique de l’endroit. « Le problème d’ensablement est sur tout le Saint-Laurent, mais il diffère d’une place à l’autre », résume le président du Parc nautique et maître de port.
Tout comme l’était l’ancienne marina de L’Isle-aux-Coudres, Saint-Jean-Port-Joli est située à la zone de rencontre entre l’eau salée et l’eau douce. Cette particularité aurait pour conséquence de mettre davantage de sable en suspension, ce qui finit par occasionner davantage de dépôts. Chaque hiver, entre six et huit pieds de vase feraient ainsi leur entrée à l’intérieur du bassin de la marina.
Le Parc nautique Saint-Jean-Port-Joli a néanmoins su s’adapter à cette réalité au fil du temps. Un premier dragage de la marina, réalisé dans le passé, a permis de dégager l’espace actuel utilisé pour l’amarrage des bateaux. Depuis, grâce à une machine mise au point par une famille d’entrepreneurs de Saint-Jean-Port-Joli, le Parc nautique arrive à maintenir cet espace « libre de vase ».
« Chaque année, on enlève autour de 10 000 verges cubes de vase. C’est environ 833 trous de huit pieds de diamètre qu’on doit faire pour réussir à avoir 66 emplacements pour bateaux. Ça nous prend deux mois et demi faire ça, et on est tributaires des marées, donc on doit travailler jour et nuit pour y arriver. Et c’est beaucoup des bénévoles qui mettent la main à la pâte ! Mais là, on commence à penser qu’il rentre de plus en plus de vase chaque année, et qu’il devient de plus en plus difficile d’en sortir », indique Alain Fradette.
Solutions
Loin d’être resté les bras croisés, le Parc nautique cherche depuis quelques années à solutionner le problème pour sauver ce qui peut l’être dans le bassin, mais aussi débarrasser « la butte » qui empêche la marina de se développer, ce qui ouvrirait la porte à près de 50 espaces supplémentaires. « On est probablement la seule marina du Saint-Laurent qui a encore la possibilité de se développer », de l’avis du maître de port.
Une reconfiguration de la jetée rocheuse du côté est de l’entrée de la marina a été effectuée il y a quelques années, avec des résultats plutôt efficaces contre l’envasement du bassin. Le courant qui entrait toutefois dans la marina à la suite de ces travaux a fini par convaincre le Parc nautique qu’il valait mieux revenir à la configuration initiale. « Une marina est un abri pour les bateaux. Ça doit être sécuritaire pour les plaisanciers et les embarcations. »
Draguer l’ensemble du bassin semble donc la seule solution logique à court ou moyen terme, mais la facture est salée : 1 M$, selon la soumission la moins chère reçue par le Parc nautique en 2017. Alain Fradette n’ose imaginer aujourd’hui. « La situation financière du Parc nautique est bonne, on arrive à autofinancer nos activités, mais on n’a pas les moyens de se payer un extra pareil », poursuit Alain Fradette.
Une autre solution serait de s’inspirer de ce qui se fait dans le nord de la France, en Normandie, où les marinas sont exposées à des conditions maritimes qui s’apparentent à celles de l’estuaire du Saint-Laurent, de l’avis du président. « Chaque port a sa petite écluse qui est ouverte à chaque entrée ou sortie de bateaux. Ça peut prendre 30 à 40 ans avant que le bassin ne s’envase de nouveau. »
Il faudrait cependant que le gouvernement fédéral fasse du tourisme maritime une de ses priorités, enchaîne le maître de port, et que davantage d’arrimages soient faits avec le palier provincial afin de rendre disponibles des programmes de subventions pour ce type de travaux ou le simple dragage. Malgré l’intervention du député fédéral Bernard Généreux dans ce dossier par le passé, rien n’a bougé.
« On ne peut pas penser qu’il n’y aurait plus de marina à Saint-Jean-Port-Joli. On est un point stratégique pour la sécurité nautique sur les trajets entre Québec et Gaspé. Si ça continue comme ça, on a peur de perdre le contrôle [de l’envasement]. On sent l’urgence. »