Éditorial : Le réveil de La Pocatière

Vue sur La Pocatière du 3eRang Est à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, en juillet 2022. Photo : Maxime Paradis

Le maire de La Pocatière Vincent Bérubé ne s’est pas fait tirer l’oreille, le 14 octobre dernier, lorsqu’il était question de commenter le projet de 40 M$ au Domaine des Oblats annoncé par deux promoteurs immobiliers de la région de Québec. Tout sourire, il était très heureux de les accompagner sur la photo « officielle », les esquisses du nouveau quartier entre les mains.

Derrière ce sourire de Vincent Bérubé se cache une conjoncture astrale comme La Pocatière n’en a pas connu depuis longtemps, ou que certains fereient même remonter avec nostalgie à l’époque de Bernard Généreux. La vérité est que le Tout-La Pocatière « dormait au gaz » depuis une bonne décennie, alors que le reste du Kamouraska carburait à la caféine des lattés sirotés par ses nouveaux arrivants des milieux urbains, pieds pendant dans le vide sur fond de coucher de soleil, comme nous le rappelaient quotidiennement les clichés qu’ils partageaient sur leurs comptes Instagram.

Au royaume de la carte postale à l’année et du #LeKamouraska, c’était à se demander comment La Pocatière, si peu « sexy » avec sa mer d’asphalte en stationnement, l’autoroute 20 qui lui barre l’accès au fleuve, et son absence de projets communautaires à l’effet « wow » comme des églises converties en serres verticales ou en écoles de cirque, allait pouvoir réincarner son slogan : c’est ICI que ça commence !

Son passage sous la barre des 4000 habitants en 2021 — alors que la COVID a pourtant profité même aux villages les plus reculés du Québec — semblait d’ailleurs confirmer l’inévitable : son lent déclin tranquille, dans une forme d’indifférence d’une région qui a souvent payé le prix de son pouvoir d’attractivité dans le passé, mais qui a su utiliser volontiers la proximité de ses institutions et de ses services dans les dernières années pour se vendre à Québec et à Montréal auprès de cette main-d’œuvre à séduire, sous le parapluie du marketing territorial.

Le réveil

Alors que plus personne n’y croyait, et que les batailles successives de La Pocatière pour la survie de ses « acquis » — Bombardier devenu Alstom, l’hôpital Notre-Dame-de-Fatima, l’ITA maintenant ITAQ — ne cessaient de rappeler que ses heures de gloire semblaient bel et bien derrière elle, les astres se sont enfin alignés. Inflation, pénurie de main-d’œuvre, de logements et de places en garderie, vieillissement de la population, régionalisation de l’immigration ou attraction d’étudiants étrangers, contrairement à d’autres milieux, La Pocatière a ce qu’il faut pour faire face à la musique, et la structure municipale qui commande un travail concerté en ce sens. Vincent Bérubé, lui, n’a qu’à attacher les ficelles qui pendent au besoin, ce qu’il réussit à merveille depuis un an, avouons-le.

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Seulement dans les prochains mois, les millions en investissements publics et privés prévus sur le territoire de La Pocatière font envie, et montrent que la ville est avantageusement positionnée pour répondre aux défis cités plus haut : construction en cours de la Résidence des Bâtisseurs et des nouveaux espaces de Moisson Kamouraska, agrandissement de la Salle André-Gagnon pour faciliter l’accès à toutes les clientèles, rénovation de la piscine intérieure du Cégep de La Pocatière et des bâtiments de la Ferme-école Lapokita, création d’un nouveau quartier urbain où se mélangeront condos et maisons modèles… Si tous ces projets se concrétisent comme prévu, le visage de La Pocatière, figé dans le temps depuis une bonne décennie, changera de bout en bout en à peine deux à trois ans, une renaissance à petite échelle qui n’est pas sans rappeler celle de Montréal, il y a une dizaine d’années, après plusieurs années de vaches maigres.

Ce réveil était d’autant plus palpable lors du Rendez-vous des affaires organisé par le député fédéral Bernard Généreux. Véritable succès, il a stimulé comme jamais le milieu socioéconomique de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup, c’est vrai, mais pour La Pocatière, ces deux jours lui ont surtout permis de réaliser qu’elle pouvait de nouveau jouer dans la cour des grands lorsqu’elle le veut ; il suffit d’un minimum d’ambition et de vision. Après des années à se prendre pour une banlieue de périphérie, comme en témoignent les programmations des loisirs qui se succédaient, toujours plus opulentes d’une saison à l’autre malgré la diminution de sa population, La Pocatière a réalisé en l’espace de deux jours que les familles, aussi charmantes soient-elles, ne sont qu’une partie de son écosystème, et qu’il est grand temps de donner de l’attention à d’autres acteurs du milieu qui sont eux aussi partie intégrante de son tissu social.

Ces acteurs ne sont nuls autres que les agriculteurs, les commerces, les industries et les institutions qui ont toujours été le socle de La Pocatière, mais qui ont été allègrement malmenés, voire négligés ces dernières années. Par l’importance qu’il a accordée à la rencontre de ces acteurs depuis son entrée en poste comme maire et président de Développement économique La Pocatière, Vincent Bérubé a certainement posé les assisses de ce nouveau souffle dont on commence à peine à ressentir les effets. S’il en récolte déjà le fruit, nul ne peut le lui reprocher.

Les défis

Les nouvelles sont bonnes, donc, mais tout est loin d’être joué, surtout à plus long terme. Une ville en croissance demande de l’espace, mais La Pocatière est entourée de terres agricoles. Comment grossir sans empiéter sur une partie des plus belles terres du Kamouraska? La densification est une solution, mais ceux qui réclament la protection des derniers boisés en milieu urbain se sont déjà invités au conseil municipal pour demander à la Ville d’en faire davantage. Un équilibre sera à trouver.

Il y a ensuite le projet de réfection de la 4eavenue Painchaud qu’on promet plus verdoyante et agréable à marcher avec son sens unique, ses trottoirs plus larges et ses quelques stationnements en moins. Les plus urbains de La Pocatière et des environs s’en réjouissent, mais ceux qui habitent en périphérie et qui n’ont d’autres choix que d’utiliser leur automobile pour avoir accès aux services qui s’y trouvent ont déjà manifesté leur mécontentement le printemps dernier. Ancrer la plus importante artère commerciale de Kamouraska-L’Islet dans la réalité urbanistique du 21esiècle, en conjugaison avec la réalité de La Pocatière comme ville-centre en milieu rural, promet d’être un exercice de contorsion passablement douloureux.

N’empêche, pour le moment, Vincent Bérubé a toutes les raisons du monde de sourire : sa ville est de nouveau sous les feux de la rampe. On comprend aussi pourquoi il se permet de solliciter de nouveau et sans gêne ses voisines pour une étude de regroupement municipal. La vérité est qu’il est toujours plus agréable de sauter dans un train qui a fière allure et qui file à vitesse grand V – aucune analogie à Alstom ici —, plutôt que d’ouvrir la porte à un canard boiteux. En se redynamisant de la sorte, La Pocatière a toutes les cartes en main pour redevenir l’aimant qu’elle a déjà été, et peut-être même réussir les noces avortées du passé.