Éditorial : Un éléphant nommé Inno

Exemple de cultures réalisées en environnement fermées. Photo : Courtoisie Inno-3B.

Tout le monde le voit depuis des mois, mais personne n’ose le nommer publiquement. Les misères des Jardins du Clocher de Saint-Pacôme ne tiennent qu’à un nom : Inno-3B, incapable de livrer la technologie sur laquelle repose tout le modèle d’affaires de l’OBNL.

Louise Chamberland, mairesse de Saint-Pacôme, est la seule qui a eu le courage de nommer l’éléphant dans la pièce : les Jardins du Clocher doivent regarder ailleurs que chez Inno-3B, sans quoi ils devront fermer leurs livres. Les administrateurs arrivent sûrement à la même conclusion, mais ils sont dans une position délicate : Martin Brault, pdg d’Inno-3B, siège à leurs côtés sur le conseil d’administration, et son entreprise a promis de fournir gratuitement à l’OBNL la tour de production évaluée 1 M$, une technologie que de toute évidence l’organisme n’a pas les moyens de se payer. Un « engagement moral », disait-il il y a deux mois, mais qui le place, lui et le conseil d’administration, dans une situation de conflit d’intérêts évidente.

Si couper le cordon ombilical semble être la chose à faire dans les circonstances, on peut comprendre que la solution ne soit pas chose facile pour les deux parties. Sans Inno-3B, les Jardins du Clocher n’auraient jamais existé, même si le projet est aujourd’hui à des milles de ce qu’il devait être au départ. Entre le temps où les premières graines ont été semées, et le moment de récolter, plusieurs cycles d’arrosage se sont succédé, avec en trame de fond les hauts et les bas vécus chez Inno-3B.

Ramenons-nous dans le passé : une Fabrique au bord du gouffre financier réfléchissait à sauver son église ; une communauté défaite, après la dégelée vécue avec la Station plein air qui n’a jamais été relancée comme promis, était en quête d’un projet mobilisateur. Entre les deux, Inno-3B s’est immiscé en sauveur : la création d’un OBNL qui rachèterait l’église, et qui lui louerait les espaces pour y installer ses tours d’agriculture verticale en milieu fermé. Les Jardins du Clocher y feraient la culture de micropousses et de légumes-feuilles qui seraient vendus au profit de l’organisme. On allait même jusqu’à évoquer que la chaleur dégagée par les machines aller chauffer l’église !

On n’était pas dans le registre de la multiplication du pain et du vin, mais presque ; tout était parfait, et on comprend Saint-Pacôme d’avoir été séduite par une salade aussi bien vendue. Agriculture de proximité, innovation et projet communautaire : la proposition cochait toutes les cases qui d’ordinaire procurent un orgasme instantané à tout le Kamouraska ! Même les médias, locaux comme nationaux, se ruaient aux portes de l’église pour parler de ce projet novateur en devenir, vu comme un modèle à reproduire dans le sauvetage à grands frais du patrimoine religieux du Québec.

Mais voilà, le projet a évolué, essentiellement parce qu’Inno-3B a revu ses ambitions pour elle-même. Dès 2019, les hauts plafonds de l’église de Saint-Pacôme ne convenaient plus à la production industrielle devenue la nouvelle priorité de l’entreprise. Progressivement, elle a déménagé ses pénates dans les locaux de Roland & Frères, quelques coins de rue plus loin, laissant les Jardins du Clocher devant le fait accompli : un bâtiment qui lui appartient, qui ne rapporte plus rien, et qui est dépourvu de l’outil sur lequel repose tout son modèle d’affaires.

Les administrateurs de l’OBNL ont tout de même persévéré avec les orientations de départ du projet, malgré ce revirement ; la germination a seulement été plus longue que prévu. En 2021, on arrivait enfin à l’étape de la commercialisation des premières micropousses, mais la tour promise par Inno-3B n’était toujours pas au rendez-vous. Les Jardins du Clocher font depuis ce qu’ils peuvent avec des étagères Costco munies de lumières DEL, mais nul besoin d’un baccalauréat en agronomie pour comprendre qu’on ne joue pas dans les mêmes rendements, jugés par la présidente Lise Michaud comme étant trois fois inférieurs à ce qu’offrirait une tour de production d’Inno-3B ; autrement dit, des pinottes.

Maintenant que le conseil d’administration s’est rendu à l’évidence qu’il n’était pas équipé pour survivre à long terme, et qu’Inno-3B n’est clairement pas en mesure de respecter ses promesses de livraison, il se doit d’explorer d’autres technologies s’il souhaite s’acquitter de ses obligations face au ministère de l’Environnement. Car, rappelons-le, ce qui a permis de démarrer réellement les Jardins du Clocher est une subvention de 680 000 $ versée sur trois ans par le biais de la Municipalité de Saint-Pacôme pour le financement d’un projet de culture et de mise en marché de légumes produits en environnement fermé.

Visiblement, tant que Martin Brault continuera de siéger au conseil d’administration de l’organisme, ce dernier ne se verra pas libéré de son devoir de loyauté à l’endroit d’Inno-3B. Et comme la situation financière semble tout aussi précaire dans l’entreprise, de l’aveu même de son pdg à Radio-Canada, la crainte qu’Inno-3B entraîne avec elle son bébé, advenant sa fermeture, est tout à fait légitime. Après tant de labeur et de sacrifices mis dans ce projet, il serait dommage d’arriver à la conclusion que le destin des Jardins du Clocher était peut-être de se résigner à le regarder manger les pissenlits par la racine.