Les propriétaires de maisons patrimoniales sont nombreux à dénoncer le coût exorbitant de leurs assurances habitation, lorsque les compagnies acceptent d’assurer ces bâtiments. À La Pocatière, la première école d’agriculture aurait pu coûter 12 000 $ en assurance à son nouvel acquéreur, le triple de la propriétaire précédente, s’il n’avait pas pris la peine de reprendre la soumission point par point et de revoir à la baisse la valeur assurable du bâtiment.
Denis Tchuente est urbaniste à la Ville de La Pocatière depuis un peu plus d’un an. À la recherche d’une résidence assez grande pour loger sa famille et être près des services, il est tombé sous le charme de la maison connue comme étant la toute première école d’agriculture au Canada, au coin de la 4e avenue Painchaud et de la 2e rue Guimond à La Pocatière. Construite en 1859, la résidence était jusqu’à tout récemment la propriété de Francine Leclerc.
Or, cet achat aurait bien pu avorter à la suite du magasinage de l’assurance habitation. « Une des soumissions s’élevait à 25 000 $ par année. Je me suis demandé si la personne avait bien compris la demande », raconte Denis Tchuente. La seconde soumission, obtenue auprès du même assureur que Francine Leclerc, est sortie à 12 000 $, alors que cette dernière venait de recevoir un renouvellement pour 4000 $ par année. « Trois fois plus ; une vraie flambée ! » s’est exclamé le nouveau propriétaire.
En calculant la balance des inconvénients, Denis Tchuente en est venu à la conclusion que cette résidence était celle qui répondait à ses besoins. Il s’est rassis, il a réévalué la soumission en la passant au peigne fin, et il a retiré le superflu. Il a ensuite diminué la valeur assurable de la maison pour arriver à une facture de 8000 $ par année, le double de ce que la propriétaire précédente aurait payé si elle n’avait pas vendu.
Situation récurrente
À la MRC de Kamouraska, la directrice du Service de l’aménagement et de la mise en valeur du territoire Catherine Langlois a avoué ne pas être surprise par la mésaventure de Denis Tchuente. « Souvent, ce genre de situation survient quand la maison change de propriétaire », dit-elle. Si ces maisons sont citées ou même classées, la difficulté à les faire assurer est telle, ou la facture si astronomique, que plusieurs propriétaires se résignent même à se passer d’assurance une fois le prêt hypothécaire remboursé.
Francine Leclerc s’était justement battue pour cette raison, avec d’autres propriétaires de maisons anciennes de La Pocatière, lorsque la Ville souhaitait citer bien patrimonial la première école d’agriculture en 2011. Leur mobilisation avait finalement fait reculer le conseil municipal de l’époque. « Je payais 2500 $ en assurance habitation, et mon assureur me disait qu’une citation allait me faire monter à 10 000, voire à 12 000 $ par année. Je n’avais pas les moyens de payer ça ».
Règles trop strictes ?
Friedrich Friesinger, ébéniste d’origine allemande aujourd’hui basé à Saint-Pascal, a immigré au Canada en 1975. Il a depuis pris part à la restauration d’innombrables bâtiments patrimoniaux d’exception à Montréal, dont la basilique Saint-Patrick, l’oratoire Saint-Joseph, et plusieurs maisons de Westmount. Autant il se dit un amoureux inconditionnel de l’architecture ancienne, autant il estime que les constructions d’époque sont souvent de meilleure qualité que celles d’aujourd’hui, autant il comprend la frilosité des compagnies à vouloir assurer le patrimoine bâti.
« Les règles qui régissent le patrimoine sont souvent trop rigides, et ne prennent pas en considération l’usage que les gens font du bâtiment. Si jamais un sinistre survenait et qu’il fallait reconstruire à l’identique, le coût des matériaux serait juste démesuré, et l’artisan avec les compétences pour le faire n’existerait probablement même pas. Pour les compagnies d’assurance, ça leur suffit pour les refroidir », résume-t-il.
Catherine Langlois apporte toutefois quelques nuances. Plusieurs des nouveaux propriétaires d’aujourd’hui ont parfois des résidences qui ne sont ni classées ni citées, et se voient tout de même refuser une assurance habitation, ou comme Denis Tchuente, la payent à prix fort. « Les assureurs vont par exemple demander aux gens si leur demeure se trouve dans une zone où est appliqué un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). Ça n’a aucun sens ! Une maison d’une trentaine ou d’une quarantaine d’années peut se trouver dans un PIIA. Un PIIA ne dicte pas la valeur patrimoniale d’une demeure, ça ne fait que dicter des normes de rénovation afin d’assurer une plus grande harmonie visuelle à un secteur. »
Intervention réclamée
La directrice du Service de l’aménagement et de la mise en valeur du territoire est toutefois d’avis que le gouvernement devra intervenir s’il souhaite que les gens continuent de préserver le patrimoine bâti au Québec. D’autant plus qu’avec l’adoption du projet de loi 69, qui modifie la loi sur le patrimoine culturel, les MRC ont désormais l’obligation d’adopter un règlement de démolition concernant les immeubles datant d’avant 1940. Ce règlement vient avec le devoir de faire un inventaire de tous les immeubles antérieurs à 1940 sur le territoire, inventaire qui au Kamouraska recenserait pas moins de 1200 bâtiments.
« Si les compagnies d’assurance commencent à demander aux gens s’ils font partie d’un inventaire, ce qui sera maintenant une obligation légale, et qu’elles refusent de les assurer à cause de ça, on va tourner en rond. Si le gouvernement veut que ses efforts en préservation du patrimoine réussissent, il va devoir être cohérent et parler au Bureau d’assurance du Canada. Autrement, on va décourager les gens qui souhaitent restaurer et entretenir le patrimoine bâti au Québec », déclare Catherine Langlois.
Une résolution d’appui à la MRC des Maskoutains, demandant au gouvernement du Québec d’intervenir auprès des assureurs pour la sauvegarde du patrimoine québécois, a d’ailleurs été adoptée par le conseil de la MRC de Kamouraska en décembre dernier. La semaine dernière, une résolution similaire a été votée par le conseil municipal de la Ville de La Pocatière. Au bureau du député de Côte-du-Sud Mathieu Rivest, son attachée politique Anne-Christine Charest indique que cette préoccupation a été portée au ministère de la Culture et des Communications, déjà bien au fait du dossier.