Le Kamouraska est reconnu dans les milieux concernés comme un précurseur de l’économie circulaire au Québec. Pourtant, au-delà d’un cercle restreint de personnes et d’organisations, le concept reste flou pour la population d’ici. Entrevue avec celle qui travaille depuis une décennie à le rendre concret… et payant.
Émilie Dupont est née dans la vallée de la Loire, sur une ferme laitière familiale, où elle a compris très tôt le rapport à la terre, aux saisons, au fait que la nature est plus grande que soi.
Elle a aussi appris de ses parents la curiosité intellectuelle, et a quitté la maison pour poursuivre des études supérieures en développement régional.
C’est au niveau de la maîtrise qu’elle a découvert le Québec, où elle a réalisé en 2006 une étude comparative sur le coût de la vie en région par rapport à la ville, pour le Carrefour jeunesse-emploi de Victoriaville.
Non seulement a-t-elle démontré que la vie en région n’a rien à envier à l’urbanité, mais elle a aussi compris que le Québec serait sa nouvelle patrie.
« Dès l’âge de 17 ans, je savais que je n’habiterais pas en France. Au Québec, je prends tout de cette société, qui est parfaite pour moi et mes valeurs », rappelle la Carmeloise d’adoption.
Installée à Mont-Carmel en 2007, Émilie Dupont a trouvé dans son nouveau village une communauté attachante dans laquelle elle s’implique activement. Bénévolat, comité de développement, elle est enthousiaste à l’idée de « faire ce territoire ensemble, comme une famille ».
Changer le monde pour vrai
En 2009, la SADC recherche quelqu’un pour faire le portrait socioéconomique des municipalités de la région. C’était une job d’été, c’est devenu une carrière. Après quelques années comme agente de développement pour la SADC, et une parenthèse comme travailleuse autonome en développement régional, elle plonge définitivement dans le dossier qui prendra toute la place dans sa vie professionnelle.
« Je voulais avoir de l’impact, et je n’en avais pas assez à mon goût comme travailleuse autonome. Finalement, la SADC a réussi à obtenir du financement pour l’économie circulaire, et je suis revenue. »
Après avoir présenté en 2013, en collaboration avec Co-éco, le Centre de recherche industrielle du Québec (aujourd’hui Investissement Québec) et VRIc, un OBNL dédié à la promotion de l’économie circulaire, un projet pilote provincial pour démontrer le potentiel de développement économique régional associé à l’économie circulaire qui n’a pas trouvé d’écho, on décide de procéder plutôt par étapes.
« On a choisi une vingtaine d’entreprises au Kamouraska, explique la conseillère, et on a recensé tout ce qui entre et tout ce qui sort des entreprises, pour s’assurer que tout soit valorisé ou réduit à la source; c’est comme ça que la symbiose industrielle a commencé. »
Économie circulaire, symbiose industrielle, économie de coopération et de fonctionnalité, mais qu’est-ce que c’est au juste? On peut résumer en disant que c’est une économie qui s’assure que rien ne se perde dans la chaîne d’approvisionnement.
Alors qu’on constate que le modèle linéaire qui définit l’économie actuelle — extraire, produire, consommer, jeter, et recommencer — est sans issue, l’économie circulaire propose de créer un système durable et moins nocif pour la société et pour l’environnement.
« Penser, produire, distribuer, utiliser, réparer, recycler, revaloriser, il faut tout repenser. » C’est ainsi qu’Émilie Dupont conçoit l’avenir, et elle souhaite l’intégrer dans les pratiques quotidiennes des organisations en faisant en sorte que le changement soit agréable, pour qu’il soit durable.
Exemple concret
Groupe Gibo, de Saint-Pascal, est l’une des entreprises qui ont sauté dans le train dès le début, sous l’impulsion de ses employés qui constataient la quantité imposante de déchets générés par l’entreprise.
On a commencé par retourner les retailles de mousse de polyuréthane au fournisseur, qui en fait des tapis antifatigue.
« Le fournisseur livre le matériau neuf et repart avec les retailles, souligne Émilie Dupont. En plus, il y a une économie sur le transport. » Une autre entreprise, Outils Viel, en reprend aussi une partie comme matériau d’emballage.
Par la suite, on a introduit la commande numérique pour optimiser la découpe de tissu. La ripe de bois produite par la découpe des structures des meubles et par les dépoussiéreurs sert de carburant pour chauffer les Serres Bertrand. À plus petite échelle, Créations Nathalie utilise les retailles de tissu pour créer des objets d’usage courant.
Et c’est payant. « Tout ce qui va à la poubelle a été payé par l’organisation, insiste Émilie Dupont. Si on peut l’acheminer plutôt à une autre organisation qui en a besoin, c’est un gain économique significatif. »
Pour Gibo, ce sont 1000 m3 de matières résiduelles et 200 tonnes de bran de scie qui sont détournés de l’enfouissement chaque année.
En 2023, 75 entreprises et organisations du Kamouraska participent au projet initié par Émilie Dupont.
Si les ressources sont difficiles à trouver pour augmenter le rayonnement du projet, Émilie Dupont reste une éternelle optimiste :
« Il y a énormément de beau monde ici, des gens qui réfléchissent pour changer le système globalement. Il faut qu’on avance ensemble, il faut se parler, s’écouter et se comprendre, pour éviter la polarisation et faire ce territoire ensemble. »