Placotons : Le 30 000 $ de la honte

Assemblée nationale. Photo Wikimedia Commons

Un projet de loi visant à augmenter la rémunération annuelle de base des élus de l’Assemblée nationale de 30 000 $ a récemment été déposé par le leader parlementaire et ministre de la Justice du gouvernement caquiste, Simon Jolin-Barrette.

Ainsi, un député sans fonction additionnelle verrait son salaire passer de 101 561 $ à 131 766 $, en plus, par la suite, d’être indexé au même niveau que les emplois supérieurs. Qui plus est, en tenant compte de certains paramètres liés à l’allocation de dépenses à laquelle les députés ont droit, ceux-ci toucheraient finalement 169 950 $ par année.

Dans le cas du député de Côte-du-Sud, Mathieu Rivest, il gagne présentement 101 561 $ comme salaire de base, plus 15 234 $ en raison de son rôle de président de séance d’une commission permanente.

Avec la hausse en question, ce dernier devrait encaisser plus de 171 000 $ par année, sans compter les divers remboursements pour les frais de déplacements et de logement, ainsi qu’une allocation dite de transition après le mandat, et ce, tout en possédant un bienveillant fonds de pension.

C’est un comité consultatif indépendant qui a été mandaté par le Bureau de l’Assemblée nationale (BAN) pour s’attarder aux conditions salariales des députés.

Lorsque le rapport a été déposé, le 19 avril dernier, ledit comité a ainsi plaidé pour un rattrapage salarial des élus provinciaux. Dans ce rapport, on affirme qu’un travail de député s’apparente au travail de dirigeants et de vice-présidents de sociétés publiques, qui, eux, gagnent 169 000 $/an, si on y inclut, dit-on, l’allocation de dépenses.

Selon l’argumentaire du comité pour justifier cette hausse, la précarité de la fonction, l’ampleur de la charge, les déplacements professionnels, ainsi que le défi de la conciliation travail, famille et vie personnelle seraient particulièrement difficiles.

Les élus consacreraient ainsi, toujours selon le rapport du comité, en moyenne 63 heures par semaine à leur travail, et 10 heures à leurs déplacements professionnels.

Bien entendu, cette argumentation se tient puisqu’en effet, le travail de député n’est pas une chose facile, car, techniquement, on parle davantage d’une vocation que d’un boulot courant.

Par contre, là où le bât blesse, c’est que la situation économique actuelle dans la belle province est loin d’être optimale, puisque les familles québécoises ont du mal à payer leur épicerie, leur loyer ainsi que leurs nombreuses factures, sans compter les taux hypothécaires qui ont grimpé en flèche. Et en plus, ce sont les élus eux-mêmes qui se votent cette hausse…

Entendons-nous bien, je n’affirme pas ici que les députés de l’Assemblée nationale ne devraient pas être augmentés — bien qu’on pourrait longuement argumenter sur le sujet —, mais que lorsque le peuple a de la difficulté à boucler son budget, que le gouvernement souhaite limiter à 9 % sur cinq ans la hausse salariale pour le personnel qui offre des services à la population, et qu’à l’inverse, on offre une bonification salariale de 30 % aux députés, qui par-dessus le marché est rétroactive, on aurait pu se garder une petite gêne.

Une augmentation similaire à celle octroyée aux fonctionnaires aurait été, selon moi, beaucoup plus adéquate et de bon goût que le 30 % additionnel livré sous peu et d’un trait aux élus de l’Assemblée nationale, surtout dans le contexte actuel de précarité économique qui prévaut au Québec.

Les députés de la belle province étaient déjà mieux rémunérés que leurs homologues d’Ontario, d’Alberta et de Colombie-Britannique. Pourquoi désirer une telle augmentation alors que les banques alimentaires du Québec sont aussi sollicitées ?

Dois-je rappeler que, selon Statistique Canada, les prix des aliments achetés en magasin ont augmenté de 10,6 % d’une année à l’autre en février 2023, ce qui représente une septième progression mensuelle consécutive supérieure ou égale à 10 % ? On pourrait également parler du prix épouvantable de l’essence ?

J’aimerais souligner à gros traits ici que les élus de l’Assemblée nationale gagnent plus que 92 % des Québécois…

« La prime Claire Samson »

Selon les propos du député péquiste de Matane, Pascal Bérubé, on aurait de la difficulté du côté de la CAQ à maintenir leurs députés heureux, et l’une des solutions envisagées pour remédier à la situation aurait été de bonifier leur salaire.

L’augmentation de 30 % toucherait également les diverses fonctions parlementaires, allouant présentement une somme supplémentaire allant de plus de 15 000 $ comme membre du Bureau de l’Assemblée nationale à plus de 76 000 $ pour le rôle de premier ministre.

Précisons au passage que seuls deux députés péquistes et sept solidaires n’ont actuellement aucune fonction parlementaire spéciale.

Par ailleurs, selon le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime, tous les députés caquistes possèdent au moins une fonction parlementaire.

Donc, si certains d’entre eux décidaient de quitter la CAQ pour traverser avec les conservateurs — en raison de l’abandon du troisième lien pour les véhicules, par exemple —, ils perdraient leur fonction parlementaire, donc leur allocation supplémentaire.

Toujours selon M. Duhaime, des députés caquistes lui auraient révélé que c’était grâce à la transfuge Claire Samson que le premier ministre Legault aurait donné à tous ses élus une fonction parlementaire spéciale, leur octroyant du même souffle un montant additionnel qu’on nommerait désormais avec ironie « la prime Claire Samson ».

Rien, ici, pour apaiser le cynisme ambiant de la population du Québec envers ses politiciens, je vous assure…

J’estime ainsi qu’en raison de la situation économique inflationniste, les députés devraient dire non à cette hausse démesurée de 30 % en gelant temporairement leur salaire, quitte à demander un accroissement des moyens financiers pour le fonctionnement de leurs bureaux de circonscription, ou bien tout simplement demander une augmentation de leur budget discrétionnaire afin d’aider davantage leurs commettants.

En somme, le projet de loi sur l’augmentation salariale de 30 % déposé le 11 mai dernier par les députés de l’Assemblée nationale me fait fortement penser à un capitaine de navire qui, avec son équipage, monopoliserait les embarcations de sauvetage pour quitter en urgence le bateau en train de s’engouffrer dans la mer, laissant ainsi à eux-mêmes les passagers en panique.

Les élus sont censés être les leaders de la société en donnant l’exemple. Le 30 % d’augmentation salariale pour les députés du Québec est, selon moi, très maladroit, et même une honte, dans les circonstances actuelles.