Le film Ru a pratiquement fait salle comble au Cinéma Le Scénario de La Pocatière. Lors d’une projection spéciale organisée par la propriétaire Marie-Josée D’Anjou, les cinéphiles de la région, touchés unanimement par l’œuvre, ont pu échanger à la toute fin avec Kim Thúy, auteure du livre du même nom qui a inspiré le film, et le réalisateur Charles-Olivier Michaud.
Un regard respectueux, délicat et « non américain » sont autant de qualificatifs entendus à la suite de la projection de Ru, le 2 décembre dernier. Une Kim Thúy verbomotrice, un qualificatif qu’elle s’est attribué délibérément, a répondu généreusement à toutes les questions qui lui ont été adressées, apportant un éclairage supplémentaire sur le destin de certains des personnages du film d’inspiration autobiographique. Charles-Olivier Michaud a pour sa part expliqué sa démarche artistique, et dévoilé comment il est arrivé avec son équipe à recréer l’atmosphère de Saïgon dans un appartement de la rue Stanley à Montréal.
Sorti en salle le 24 novembre dernier, Ru met en vedette la jeune actrice Chloé Djandji qui joue le rôle de Tinh, inspiré de Kim Thúy. Le scénario est basé sur le livre paru en 2009, vendu à près de 550 000 exemplaires à travers le monde — sauf au Viêt Nam, où il est interdit de distribution —, et traduit en 28 langues. Il raconte l’histoire de Kim Thúy et de sa famille, réfugiés vietnamiens que l’Histoire retient comme étant les boat-people, et de leur intégration progressive à la société québécoise à la suite de leur arrivée à la fin des années 1970.
Le récit permet de comprendre comment la famille de Tinh a fui la dictature communiste vietnamienne, et comment elle s’est enracinée dans son pays d’adoption avec l’aide d’une famille québécoise typique de l’époque. En privilégiant les allers-retours dans le temps, le réalisateur alterne les passages plus durs, allant de l’arrestation par les militaires vietnamiens à la traversée, entassés dans la cale du bateau, ou passant des piètres conditions de vie dans les camps de réfugiés à celles plus réconfortantes des classes de francisation de Tinh, des premiers boulots de ses parents, des balades en raquette ou des rassemblements à la cabane à sucre avec la famille de parrainage.
L’ensemble du film repose sur les épaules de Chloé Djandji qui, dans un silence perpétuel et parlant, permet au cinéphile de se projeter dans son personnage de Tinh, et de bien ressentir toute la gamme des émotions qui accompagnent sa renaissance à la fois lumineuse et douloureuse dans ce nouveau pays. « Pour être capable de passer à travers tout ce qu’on a vécu, il fallait une forme d’anesthésie des sens, comme si notre corps se gelait pour survivre. En arrivant au Québec, on pense que le dégel va se faire instantanément, mais non, ça se fait lentement, comme un poulet qui sort du congélateur », a imagé humoristiquement Kim Thúy, à l’assistance.
Résonnance régionale
Marie-Josée D’Anjou tenait mordicus à ce que la tournée promotionnelle de Ru s’arrête à La Pocatière, là où est née L’AMIE, aide internationale à l’enfance, à la fin des années 1960. Connue pour ses premiers programmes de parrainage mis en place dès le début des années 1970, l’organisation a orchestré la venue au Canada de 380 enfants vietnamiens et cambodgiens entre 1978 et 1987, dont la majorité a été placée dans des familles au Québec. « Beaucoup d’enfants ont quitté seuls, car ça coûtait moins cher. Souvent, le père était déjà dans un camp de rééducation. La mère amassait des sous avec la famille pour envoyer l’enfant à l’étranger », a résumé Kim Thúy.
Madeleine Bélanger de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, toujours présidente honoraire de L’AMIE, est celle qui a permis à l’époque la venue de ces enfants réfugiés au Canada, une pratique qui n’existait pas au pays avant que son organisation entame des démarches en ce sens auprès des gouvernements fédéral et provincial. Lorsque ces accueils ont cessé, L’AMIE a travaillé à la réunification de ces enfants avec leurs parents. « Au Kamouraska, 15 ont été accueillis par des familles. Une famille à Saint-Pacôme en a accueilli six, mon conjoint et moi en avons pris trois », a-t-elle raconté à Kim Thúy.
À son deuxième visionnement de Ru, le 2 décembre, Madeleine Bélanger s’est dite toujours aussi bouleversée par les images des camps et des bateaux qui, selon ce qu’on lui avait raconté, étaient pires que ce qui a été présenté dans le film. « Ces enfants que nous avons accueillis, ils n’ont jamais été adoptés, ils ont été parrainés, mais ils ont été traités comme des enfants de la famille. On a le même attachement pour eux que pour les nôtres, car le cœur ne voit pas les couleurs, il ne reconnaît pas les langues. Le cœur aime tout simplement. »