Sophie Brochu, en quittant la direction d’Hydro-Québec, nous a mis en garde contre la tentation de faire d’Hydro-Québec une sorte de Dollarama de l’électricité verte. Nous commençons à comprendre ce qu’elle voulait dire.
Un trésor national convoité
L’électricité verte que produit et distribue Hydro-Québec devient un héritage national de plus en plus convoité à mesure qu’augmente l’urgence d’abandonner les énergies fossiles responsables du réchauffement fatal de notre planète. Mais notre énergie verte n’est pas infinie, et d’ailleurs, comme le rappelle l’ingénieur écologiste français Jean-Marc Jancovici, aucune forme d’énergie dite verte ou renouvelable ne l’est complètement si on l’utilise massivement : les barrages, les parcs éoliens ou solaires, les centrales nucléaires comportent tous leur lot d’inconvénients et de dangers, et certaines, comme le nucléaire et l’hydroélectricité, sont beaucoup plus efficaces que d’autres, notamment l’éolien ou le solaire.
Hydro-Québec et le gouvernement du Québec entendent bien profiter, et faire profiter le Québec, de cette énergie propre. C’est ici que le Dollarama intervient. Les tarifs qu’offre Hydro-Québec sont très alléchants pour nos voisins et pour les grandes entreprises forcées de se décarboner : 0,06 à 0,08 $ le kW pour le tarif résidentiel (33 %) — 0,16 $ en Ontario, et jusqu’à 0,45 $ en Europe —, 0,08 $ pour le tarif affaires (22 %), et 0,05 $ pour le tarif industriel et d’exportation (26 %), alors que les nouveaux kilowatts éoliens ou de La Romaine lui coûtent 0,11 $, et valent 0,15 $ sur le marché. Avec de tels tarifs, les clients intéressés n’ont pas mis de temps à appliquer, particulièrement les producteurs de batteries pour les autos électriques qui seront obligatoires à partir de 2035, à tel point que les développements prévus par Hydro-Québec pour couvrir la demande d’ici 2050 (le double de la production actuelle) s’avèrent déjà insuffisants.
À quoi voulons-nous que serve notre électricité?
Comme Hydro-Québec nous appartient à tous, il va de soi que nous avons notre mot à dire sur ce qu’on va faire de notre électricité propre. Malheureusement, depuis le départ de Mme Brochu, ces décisions majeures ont été prises unilatéralement dans les bureaux du premier ministre François Legault, de son ministre Pierre Fitzgibbon, et du nouveau PDG d’Hydro-Québec Michaël Sabia, et ils ont décidé de prioriser le développement d’une filière de fabrication de batteries pour automobiles électriques. Ce choix, on peut déjà le constater, en entraîne plusieurs autres : de nouveaux barrages, des parcs éoliens et solaires, peut-être du nucléaire, de nouvelles mines en territoire habité, de grosses usines grassement subventionnées, toutes choses qui modifient considérablement l’occupation du territoire et l’avenir du Québec, et ce, sans consultations.
Bien sûr, on nous garantit que notre tarif résidentiel n’augmentera pas de plus de 3 % par année d’ici 2035 (et après?), mais le gros de l’effort sera consacré à l’industrie de l’auto électrique individuelle, alors qu’il devrait plutôt s’orienter vers les transports collectifs et la mise en place de communautés de plus en plus autonomes si on veut stopper le réchauffement du climat. L’auto électrique demeure une voiture individuelle, qui nécessite l’utilisation de matériaux rares et non renouvelables, des autoroutes, beaucoup d’électricité, qui favorise l’étalement urbain et coûte très cher. Le ministre Fitzgibbon, dans un rare moment de lucidité, ne disait-il pas lui-même, l’été dernier, qu’il faudrait diminuer de moitié le nombre d’autos sur les routes? En un mot, l’auto électrique individuelle n’est pas une solution à moyen terme à notre problème écologique.
La menace : la privatisation
À la limite de cette folle vente à rabais de notre électricité à l’industrie, ce qu’on entrevoit déjà, c’est l’ouverture de la production et même de la vente d’électricité à des compagnies privées. C’est déjà ce qui se fait dans l’éolien, pour Rio Tinto, et ce qu’on veut permettre aux grosses compagnies. C’est un engrenage vicieux qu’il sera difficile d’éviter au train où vont les choses.