C’est toujours plaisant de regarder ce qui se passe chez le voisin. Étant en garde partagée entre Rivière-du-Loup et le Kamouraska, je me paye la traite. Et je vous annonce que si la tendance se maintient, Rivière-du-Loup apprendra bientôt que sa traverse traversera à Cacouna. Devin je suis. Parce qu’on a beau revirer ça de tous les bords, c’est pas mal l’évidence.
Je ne devrais pas écrire ça. On attend encore la réponse officielle, et plusieurs ont encore de l’espoir. Je vais leur faire de la peine. Mais si on analyse le tout, Rivière-du-Loup était en phase terminale dès que François Legault a affirmé que garder le traversier à son emplacement actuel coûterait 700 millions $, contre la moitié moins à Cacouna. Et comme rien de nouveau n’a émergé pour faire baisser les coûts…
Rivière-du-Loup s’est indignée. C’était légitime, même si l’inévitable demeurait inévitable. Et l’inévitable, c’est comme un boomerang, ça finit toujours par nous revenir en pleine face. Avouons que Rivière-du-Loup aurait eu l’air fou s’il avait simplement dit « OK d’abord ».
Donc sont venues les demandes de justification du milieu, qu’a écoutées la députée Amélie Dionne. Elle a commandé des études, qui ont mis le dossier sur pause. Plutôt que de se faire trancher la tête tout de suite, on a mis une épée de Damoclès sur Rivière-du-Loup. On est alors passé d’un deuil obligé à quelque chose comme « on verra à ça ».
Le milieu ne faisait plus confiance à la Société des traversiers du Québec? On a invité des armateurs privés. Plusieurs se sont montrés intéressés. On n’en sait pas plus, mais on continue toujours de cultiver l’espoir en retardant l’annonce de la décision, parce qu’elle ne fera sûrement pas l’affaire de notre voisin.
Aux 700 millions $, il faut ajouter le dragage annuel, un chantier obligé qui coûte près de 2 millions $ par année. Et ça empire avec le réchauffement climatique, qui fait en sorte que le fleuve au quai redevient toujours un bac à sable. Du reste, l’opération devient toujours plus complexe, bélugas obligent.
Toujours est-il que…
Depuis des lunes, les élus de deux rives réclament un traversier à l’année. Bizarre que personne n’en parle plus, alors que c’est probablement ce que permettra une traverse à Cacouna. Parce que c’est un port en eau profonde. D’ailleurs, fini le dragage annuel. Le dernier significatif a été réalisé il y a plus de 15 ans. Les bélugas? Des mesures d’atténuation existent pour les croisières aux baleines. Il en existera pour un traversier. Le bateau? On en trouvera un.
Signe ultime que ce n’est pas bon signe, quand j’étais petit, au quai de Rivière-du-Loup, il y avait un magasin d’artisanat ou l’on vendait des mocassins. Ben, les mocassins sont rendus à Cacouna depuis l’ouverture d’un magasin d’artisanat de la première nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, érigé juste en haut de la côte du futur traversier. En plus, de là, une navette mène au nouvel observatoire des bélugas, érigé par la même Nation, et que le magazine Time a classé comme l’une des 100 destinations les plus extraordinaires à travers le monde entier! Pas au Canada, dans tout le globe.
Cette même Première Nation, qui semble avoir le flair pour repérer les bonnes affaires, a acheté un restaurant à Cacouna pour y proposer des mets traditionnels. Et comme les Français qui viennent au Québec cherchent tous encore des Indiens, ils en auront en sortant du traversier. Ceci expliquera cela. Cacouna n’est plus seulement belle, elle est attractive.
On verra à ça
Lorsque je faisais des crises à mes parents pour avoir quelque chose qu’ils ne voulaient pas m’accorder, plutôt que de me dire non, ils me répondaient « on verra à ça ». Ils savaient que la réponse finale serait négative, mais ça fonctionnait. Le temps faisait s’effriter une pilule qui devenait alors plus facile à avaler. C’est en plein ce qui se passe avec la traverse. Mais la pilule que Québec cherche à faire avaler à Rivière-du-Loup est devenue avec le temps un gros abcès infecté qu’il est urgent de crever. Parce que plus on attend, plus il va faire du pus.
Vous souvenez-vous de Star Trek? Une série de science-fiction ou monsieur Spock, un extra-terrestre dénué de sentiments, n’agissait que par logique. Le capitaine Kirk, lui, était l’émotif. Chacun de son côté possédait sa vérité, la bonne. Mais ensemble, ils constituaient les deux côtés de la médaille.
Nous possédons les deux, et chacune des deux vérités est la bonne. Mais les cris du cœur de l’émotion ont rarement plus de poids que la logique des deniers publics. Alors? Ce sera l’émotif à Rivière-du-Loup, ou la logique à Cacouna? Savez-vous quoi? Peu importe. Le monde s’adaptera. Mais bon Dieu, dites-le!
Pour moi, la réponse est évidente. Je me trompe? Possible, mais très improbable. Si c’est le cas, il faudra m’expliquer pourquoi on a fait durer le suspense durant des années. J’appelle ça niaiser le monde. Et de telles façons de faire pour un gouvernement, ça aussi c’est comme un boomerang. Et c’est dans l’urne que ça finit par lui revenir en pleine face, quand la population lui répond par la bouche de ses crayons.