Récemment en visite officielle en France, François Legault est devenu le premier chef du gouvernement québécois à mettre les pieds à la Fondation Charles de Gaulle, là même où le général a travaillé entre 1947 et 1958. Profitant de ce moment chargé de symbolisme, notre mononcle national y est allé d’une interprétation plus qu’embarrassante concernant la déclaration célèbre « Vive le Québec libre » que le général de Gaulle a faite en 1967 sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal. De ce fait, notre premier ministre est devenu la risée de la francophonie…
En effet, non seulement François Legault a fait preuve d’une imagination douteuse dans son interprétation, mais pire encore, il a complètement déformé les faits historiques, laissant croire le contraire de ce que voulait réellement dire le président de la République française de l’époque.
« Évidemment, quand le général de Gaulle est venu en 1967 dire “Vive le Québec libre”, bon, ça fait plaisir – moi, j’ai déjà été souverainiste. Mais en même temps, ce qu’il disait, c’est “le peuple francophone qui vit au Québec, bien, prenez votre place dans le Canada” », a-t-il expliqué à un dénommé Hervé Gaymard, président du conseil d’administration de la Fondation Charles de Gaulle, et ce, avec le plus grand des sérieux du monde…
Ah oui ? Pourtant, la très grande majorité des observateurs de la scène politique de l’époque, et jusqu’à aujourd’hui, que ce soit en France ou au Québec, s’entendent pour affirmer sans l’ombre d’un doute que la déclaration du général de Gaulle était bel et bien une invitation à l’indépendance du Québec.
En effet, lorsque le général a lancé son retentissant « Vive le Québec libre », il ne s’agissait ni d’un dérapage, ni d’un simple enthousiasme de foule. Cette déclaration était mûrement réfléchie, et visait explicitement à exprimer son soutien au mouvement indépendantiste québécois.
De Gaulle avait par ailleurs préparé cette phrase, convaincu que le Québec devait se libérer de ce qu’il percevait comme une domination anglophone canadienne. Il voyait dans les Canadiens français un peuple frère, uni à la France par la langue, la culture, et une histoire marquée par la résistance. Ce geste, loin d’être anodin, constituait également un acte de défi politique envers Ottawa et Londres, dans un contexte où la France gaullienne cherchait à affirmer son autonomie sur la scène internationale. Par ailleurs, pourquoi le général aurait-il annulé ensuite sa visite à Ottawa, si sa déclaration était en réalité — selon l’interprétation de François Legault — un appel aux Canadiens français du Québec de prendre leur place dans le Canada ?
« De Gaulle cherchait ainsi à accélérer l’éveil national des Québécois », affirmait naguère Claude Morin, ex-ministre péquiste. L’historien Dale Thomson abondait dans le même sens, car il était clair pour lui que l’intention du général de Gaulle était bel et bien de stimuler l’émancipation nationale des Québécois.
Les Français du Canada
Le point de vue du général, visiblement nourri par une vision historique et géopolitique à long terme, transparaît dans une confidence faite à son ministre de l’Information, Alain Peyrefitte, en avril 1963. « En réalité, les Canadiens anglais ne comprennent pas les Canadiens français. On peut même dire qu’ils ne les aiment pas. […] Un jour ou l’autre, les Français se rebelleront contre les Anglais. Du moins au Québec, puisque partout ailleurs au Canada, ils sont minoritaires… Pourquoi aurions-nous donné l’autodétermination aux Algériens, et pourquoi les Anglais ne l’accorderaient-ils pas aux Français du Canada ? Un jour ou l’autre, le Québec sera libre. » Cette déclaration révèle encore une fois une volonté assumée pour de Gaulle de voir le Québec s’affranchir de la tutelle canadienne.
Qui plus est, selon l’historien Édouard Baraton, cette posture du général s’inscrit dans une vision plus large, héritée d’une tradition idéologique française, où les Canadiens français sont perçus comme des « Français du Canada », c’est-à-dire des nationaux vivant sous un régime issu de la Conquête de 1759-1760. Pour ee Gaulle, cette appartenance commune appelait donc un devoir d’intervention.
« Partout où je faisais halte, ayant à mes côtés le premier ministre du Québec et tel ou tel de ses collègues, accueillis par les élus locaux, c’est avec un enthousiasme unanime que la foule accueillait les paroles que je lui adressais pour exprimer trois évidences. D’abord vous êtes des Français ! Ensuite, en cette qualité, il vous faut être maîtres de vous-mêmes, et enfin, l’essor moderne du Québec, vous voulez qu’il soit le vôtre ! Après quoi, tout le monde chantait la Marseillaise avec une ardeur indescriptible ! », a expliqué en 1967 le général de Gaulle à la presse française, quelques mois après sa mémorable déclaration.
Mais comment ?
Mais comment, à la lumière des informations citées plus haut — par ailleurs bien connues et documentées —, François Legault peut-il penser que le général de Gaulle voulait réellement dire que le peuple francophone vivant au Québec devait prendre sa place dans le Canada ? Soit notre premier ministre est un ignare digne d’une mention de champion du monde, soit il vit dans une réalité parallèle à la nôtre… À mon humble avis, nous n’en sommes pas à la première turpitude de Mononcle Legault…
Il n’est d’ailleurs pas surprenant ici que son parti, selon le dernier sondage Pallas, obtienne seulement 15 % des intentions de vote. À mon sens, il serait peut-être temps d’envisager des élections générales anticipées au Québec, car si la tendance se maintient pour la CAQ, elle n’aura bientôt plus la légitimité morale de gouverner…
« Cela aboutira, à mon avis, forcément à l’avènement du Québec, au rang d’un État souverain et maître de son existence nationale, comme le sont, de par le monde, tant et tant d’autres peuples, tant et tant d’autres États qui ne sont pas si valables, ni même si peuplés que le Québec », disait de Gaulle en 1967, ce qui enfonce un dernier clou dans le cercueil des propos fallacieux du premier citoyen de la nation québécoise.