À 6 h 55, le cadran sonne. Éléna St -Pierre ouvre ses yeux ensommeillés. Elle enfile ses habits, déjeune d’un toast aux cretons, d’un verre de jus d’orange, puis file vers l’école. Après sa journée d’étudiante en secondaire cinq, elle ne tarde pas à se diriger vers son quart de travail, après quoi elle ira s’entraîner au gymnase. Chaque semaine, l’adolescente consacre environ 16 heures de son temps pour son employeur ; un horaire guère atypique chez la jeunesse de L’Islet, pour qui la conciliation études-travail est un enjeu omniprésent.
Éléna travaille depuis qu’elle est en troisième secondaire. Dans son entourage, c’est la norme. Christine Talbot, agente de développement et de communications au Carrefour jeunesse-emploi de L’Islet, le constate également : à la troisième année du secondaire, tous les étudiants travaillent.
Liberté financière
Travailler, et le pouvoir financier qui en découle est souvent synonyme de liberté pour les jeunes vivant en région. « L’argent, c’est un incontournable, soutient Mme Talbot. S’ils veulent se déplacer, s’ils veulent aller à l’école, s’ils veulent aller au McDonald’s, ça prend un permis, ça prend une voiture. Ce sont de grosses dépenses pour eux » ; des dépenses dont peuvent généralement se passer les jeunes vivant dans une métropole.
Éléna ne possède pas encore de voiture. Elle dépend plutôt des autres pour se déplacer entre ses activités quotidiennes. Entre sa mère, sa grand-mère, l’autobus scolaire ou encore la mère de sa collègue Édène, elle trouve aisément son transport. Mais, l’indépendance était bel et bien au premier plan dans l’esprit de la jeune fille de 16 ans quand elle s’est mise à travailler.
« Je ne voulais plus être obligée de demander de l’argent à papa et à maman », rapporte Éléna, ajoutant qu’elle ressentait de la pression de ses pairs. « J’avais l’impression d’être un peu la fille à ses parents, parce que souvent, je me faisais traiter de “riche” ou de “fille à papa” », se rappelle-t-elle, reconnaissant que certains de ses camarades auraient pu se sentir jaloux du fait que ses parents lui « payaient tout ».
Malgré le soutien financier de ses parents, Éléna pouvait se sentir exclue des activités avec ses amis. « Quand on sortait, eux ils avaient toujours de l’argent, mais moi, je n’en avais pas tout le temps. Donc quand on finissait au restaurant, moi je ne mangeais pas, et eux ils mangeaient. » En effet, dès la première année du secondaire, la majorité de ses collègues de classe avaient déjà commencé à travailler.
Avec le salaire qu’elle gagne maintenant, l’étudiante de l’école secondaire Bon-Pasteur paie entre autres son forfait cellulaire, sa nourriture à la cafétéria et son abonnement au gymnase, où elle s’entraîne tous les soirs. Surtout, elle économise.
Le temps c’est l’argent… et l’étude !
Une des inquiétudes principales de Mme Talbot à l’égard de la conciliation études-travail, c’est la gestion du temps. Parfois, dit-elle, ces élèves du secondaire ne s’aperçoivent pas qu’il n’y a pas assez d’heures dans une semaine pour tout ce qu’ils essaient de faire. « Ils passent déjà 30 à 35 heures sur les bancs d’école, donc s’ils en rajoutent une trentaine au travail, en plus des devoirs et de la préparation aux examens, ils finissent par avoir une semaine trop chargée. Donc nous, ce qu’on essaie de leur suggérer, c’est de se rendre compte que leur semaine est trop chargée. »
L’enjeu de la gestion du temps semble toutefois absent dans le cas d’Éléna. En fait, travailler en même temps que d’étudier, « c’est facile », dit-elle en riant, les mains pleines de mélange de boulettes à burger pendant son quart de travail chez Manu atelier culinaire. Pour l’étudiante, c’est même bénéfique. « En fait, ça grossit ma journée, puis ça m’aide à être plus concentrée. Je ne vais pas juste à l’école dans ma journée, donc ça y donne un plus gros but. » Elle explique que travailler lui enseigne la valeur de l’argent, ce qui la motive à vouloir réussir.
Pression du patron
Si les élèves du secondaire apprennent l’importance de bien gérer leur horaire hebdomadaire, ils peuvent parfois être confrontés à un autre obstacle : la pression du patron. Dans les ateliers de conciliation études-travail qu’elle donne dans les écoles, Mme Talbot mentionne qu’il y a souvent des jeunes qui confient porter la rentabilité de l’entreprise sur leur dos. On lui dit « moi mon patron me dit que si je ne rentre pas, et que je ne lui donne pas plus qu’une dizaine d’heures par semaine, il va être obligé de fermer et il fera faillite. » Elle se souvient d’un jeune qui était particulièrement ébranlé en lui racontant ce type d’histoire.
L’agente précise toutefois qu’il y a des employeurs de la MRC de L’Islet qui reconnaissent l’importance de libérer les étudiants la semaine qui précède leurs examens. « Pour eux, c’est impensable de donner plus de 15 heures par semaine de travail à un étudiant, parce qu’ils savent bien que ceux-ci doivent faire autres choses de leur vie que de travailler et d’aller à l’école. »
Dans le cas d’Éléna, elle dit avoir une patronne compréhensive, qui s’ajuste à ses besoins. Mais dans les cas où la relation entre l’adolescent et l’employeur est tendue quant aux horaires, Mme Talbot invite les jeunes à réfléchir à ce que leur apporte ce travail-là. Cette réflexion vaut d’autant plus en 2023, considérant le grand éventail d’employeurs à leur disposition.
Aspirer à apprendre
À la suite de ses études secondaires, Éléna compte aller chercher une formation en gestion commerciale au cégep de Sainte-Foy. À travers ses semaines chargées, son objectif est clair : obtenir l’indépendance financière. « Pouvoir être à mon compte, pouvoir avoir ma propre entreprise, et pouvoir choisir mes horaires, gérer mon argent et faire ce que je veux, dans le fond ! »
Pour l’adolescente, jongler études et travail au secondaire est une affaire simple. Le défi qu’elle appréhende, c’est plutôt celui d’aller vivre par elle-même dans une nouvelle ville, et l’état financier de son année à venir. Mais, elle garde la tête haute. « C’est comme une nouvelle étape. Je vais grandir et je vais sûrement plus me trouver moi-même. »




