Les églises se vident, mais certaines traditions réussissent à perdurer. Les rameaux, ces feuilles de palme tressées et parfois accrochées dans nos maisons, sont une tradition de toujours associée au dimanche des Rameaux, et encore bien présente dans la région. Des femmes de Kamouraska-L’Islet, de générations différentes, sont de celles qui s’assurent que ce savoir-faire patrimonial continue d’exister.
Gisèle Lebrun a préparé une table sur laquelle se trouvent près d’une cinquantaine de rameaux qu’elle et ses deux autres acolytes du comité liturgique — Lucie Guimont et Lucille Pelletier — ont tressés dans les dernières semaines en prévision du dimanche des Rameaux. Des croix, des roses, des pommes de pin, des cœurs, aucun ne se ressemble, bien que les techniques de base et les matériaux soient souvent les mêmes.
Sur une autre table, elles continuent leur besogne avec d’autres feuilles de palme. Gisèle tresse une croix à six branches, alors que Lucie finalise des pommes de pin. Lucille, qui est absente, a réalisé pour sa part le rameau du célébrant. « Je suis reconnaissante envers ma tante Carmelle qui était religieuse; c’est elle qui m’a montré à tresser les rameaux. Une fois que tu sais comment faire, après ça, t’inventes », raconte Gisèle Lebrun.
Le jour du dimanche des Rameaux, qui précède chaque année le dimanche de Pâques, les gens pourront se procurer un des rameaux réalisés par le comité liturgique de Saint-Roch-des-Aulnaies, moyennant une contribution volontaire suggérée. L’an dernier, 350 $ ont été amassés de cette façon, une somme qui a été remise entièrement à la Fabrique. « Une de mes sœurs m’a dit : “Tu fais ça pour l’église et ça ne te donne rien?” Pour moi, ma récompense, c’est le bonheur de le faire et le fait que ça fait plaisir aux gens », mentionne Gisèle Lebrun.
Un patrimoine à perpétuer
Julie Leclerc, de Saint-André-de-Kamouraska, est venue observer le travail de Gisèle et Lucie. Elle fait la promotion depuis quelques années des savoir-faire patrimoniaux par le biais de son entreprise, Madame KeeVanne. À ce moment-ci de l’année, elle a l’habitude de s’intéresser au patrimoine religieux. Pour encore quelques jours, elle offre une série d’ateliers sur la conception de rameaux, entre Cacouna et Saint-Jean-Port-Joli. Elle a fait la connaissance du comité liturgique de Saint-Roch-des-Aulnaies lorsqu’elle a contacté la Fabrique pour tenir son atelier. « Je me promène partout dans la province, et c’est rare que je voie les gens aller aussi loin dans leur créativité; mettre de l’avant autant de déclinaisons. Je viens de rencontrer des perles! » s’exclame-t-elle, devant la table de rameaux préparée par Gisèle Lebrun.
Lorsqu’elle débarque quelque part avec sa « table muséale » et qu’elle présente des rameaux, Julie Leclerc est toujours impressionnée par la curiosité des gens face à l’objet, et par l’attachement qu’ils éprouvent face à cet art qui était jadis pratiqué dans leurs familles, mais qu’ils ont consciemment vu s’effacer au fil du temps. Elle va jusqu’à expliquer tout le rituel : comment se comporter avec les rameaux et comment s’en départir. « Tu ne jettes pas ça à la poubelle », insiste-t-elle.
Elle en surprend plus d’un lorsqu’elle leur apprend qu’il s’agit à la base de feuilles de palmiers. L’Évangile raconte que lorsque Jésus a fait son entrée à Jérusalem, le dimanche qui précède le dimanche de Pâques, il a été acclamé par une foule qui agitait des palmes. Ainsi, ces rames de palmier, ou rameaux, ont donné le nom à la journée et à l’art qui en découle. Selon les régions du monde, les rameaux ont été adaptés en fonction des essences de plantes disponibles à proximité.
Au Québec, Gisèle Lebrun fait remarquer que les branches de sapin ont longtemps été privilégiées, jusqu’aux années 1920 où les rames de palmier ont fait leur apparition. « Ma mère faisait ses rameaux avec des branches de sapin, et j’en fais encore aujourd’hui à partir de ce que je récolte dans le bois », dit-elle, quelques exemples en main, sous le regard incrédule de Julie Leclerc. « J’avais lu que le sapin était utilisé par le passé pour les rameaux, mais jamais je n’en avais vu avant aujourd’hui », poursuit-elle.
Des ateliers pour s’initier
Pelures de maïs, blé et autres tiges de céréales entrent aussi dans la composition des rameaux à l’occasion, mais toutes ces matières ne se travaillent pas de la même façon. Dans ses ateliers, Julie Leclerc privilégie les bandelettes de papier, une bonne façon d’apprendre avant de passer à la vraie matière première, dont l’augmentation du coût au fil des ans est inversement proportionnelle à la longueur, qui elle diminue. « Quand j’étais enfant, une palme se vendait 0,10 $. Aujourd’hui, on est plus proche de 3 $, mais les palmes sont moins grosses, ça se travaille moins bien et on fait beaucoup moins de choses », indique Gisèle Lebrun.
Avec Julie Leclerc, Gisèle Lebrun offrira gratuitement un atelier de création de rameaux, le samedi 1er avril entre 14 h et 15 h 30 à la sacristie de l’église de Saint-Roch-des-Aulnaies. Les deux dames souhaitent une activité intergénérationnelle, au même titre que leur collaboration. « Si des gens de mon âge qui ont appris à faire des rameaux dans mes ateliers avec des bandelettes de papier se lancent ensuite de leur côté avec la vraie matière première, en compagnie de leur grand-mère, pour moi, le vrai bonheur vient de s’installer », conclut Julie Leclerc.