On dit par « anti-casting » d’une distribution des rôles discutable ou à laquelle on ne se serait pas attendue. C’est un peu le cas de Sylvain Lemieux chez les Libéraux. Quiconque connaît le personnage sait qu’il a un franc-parler qui détonne avec l’attitude réservée de ce parti.
Ce serait toutefois mentir de dire que les libéraux n’ont jamais eu dans leurs rangs quelques personnalités colorées. Dans les années 2000, Monique Jérôme-Forget, alors présidente du Conseil du Trésor et ministre des Finances, frôlait allégrement la caricature. Marc Labrèche s’en est d’ailleurs délecté à plus d’une reprise avec sa non moins célèbre imitation de 3600 secondes d’extase. Quant à Jean-René Dufort d’Infoman, il faisait systématiquement ressortir ses « perles », au sens propre et figuré, à chacune de ses sorties médiatiques les plus griffées.
Le Dr Gaétan Barrette et son attitude de pitbull qui s’éloigne parfois du politiquement correct typique des libéraux est un autre spécimen qui contraste à ses heures au sein de cette formation politique. D’ailleurs, il ne sollicitera pas de nouveau mandat à la prochaine élection. Mais que ça soit lui ou Monique Jérôme-Forget, même s’ils sortaient du lot à leur façon, ils avaient cette capacité à serrer les rangs quand il le fallait, une qualité — ou un défaut ? — que tous reconnaissent aux libéraux.
Là où le bât blesse concernant Sylvain Lemieux, c’est à savoir si son côté électron libre saura se marier à la grande maîtrise caractéristique du parti qui l’accueille. Car si ce trait de personnalité peut être à la fois son pire ennemi, c’est peut-être aussi la plus grande qualité que lui trouveront les électeurs de plus en plus en quête d’authenticité chez nos politiciens. Un PLQ souvent plus beige que rouge, où la ligne de parti et la retenue font pratiquement office de religion, ne risque-t-il pas de l’emprisonner plus que de le libérer pour éviter les dérapages ? La campagne électorale nous le dira bien assez vite.
Peu de choix
Le plus ironique dans cette candidature, c’est que sans le dernier règne libéral, Sylvain Lemieux serait probablement resté qu’un simple entrepreneur politisé et impliqué dans sa communauté, mais sans aspiration politique quelconque. La réforme Barrette en Santé, dont les conséquences se font encore ressentir aujourd’hui à l’hôpital de La Pocatière, est ce qui a réveillé le politicien en lui en 2017 lorsqu’il a coorganisé la marche pour le maintien des soins de santé dans la région. Le comité Mes soins restent ICI est ensuite né de cette mobilisation.
Déçu par la CAQ et Marie-Eve Proulx qu’il avait pourtant appuyées en 2018 à défaut de se présenter indépendant, Sylvain Lemieux tente aujourd’hui sa chance avec les libéraux. Les « restants » de l’ère Couillard-Barrette au sein de la députation étant en voie de se purger d’eux-mêmes, plus rien ne le retient. N’empêche que ce choix est tout sauf naturel pour ce parti qui en a déjà eu davantage.
Question de se rassurer, les libéraux pourront répéter tant qu’ils le veulent que M. Lemieux a des idées « innovantes », mais la vérité est qu’au-delà du fait qu’il est un homme de passion qui parle avec conviction des enjeux de sa région, personne ne se poussait aux portes du PLQ pour représenter Côte-du-Sud, contrairement à 2018 où une investiture s’annonçait entre Simon Laboissonnière et Erick Couillard, jusqu’à ce dernier décide de retirer sa candidature. Mais c’était la belle époque, celle où le parti avait l’habitude de la victoire et dont l’association de comté était aussi beaucoup plus mobilisée. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, dans Côte-du-Sud comme au Québec.
Ainsi, Sylvain Lemieux est ce candidat atypique qui vient sauver la face, cet « anti-casting » qui évite pratiquement à l’ancien député Norbert Morin, président du PLQ dans la circonscription, à se représenter, en plus d’épargner au parti les comparatifs avec un PQ en déroute, dans un comté où ses bases sont d’ordinaire plutôt solides. Mais un premier choix ? En tout respect pour l’entrepreneur de La Pocatière, à un mois du déclenchement d’une campagne électorale, les candidats de dernière minute sont toujours tout sauf des premiers choix. Ceci explique sûrement pourquoi il a réussi à se faufiler jusque-là.
« Anti-casting »
En fait, la candidature de Sylvain Lemieux soulève la question suivante : pourquoi le PLQ dans Côte-du-Sud n’a pas su flairer un Frédéric Poulin, un homme à l’approche visiblement plus modérée qui se présente aujourd’hui sous la bannière conservatrice ? Là aussi, « l’anti-casting » questionne, puisque M. Poulin, très visible sur le terrain depuis l’annonce de sa candidature en mai dernier, semble faire l’unanimité partout où il passe, contrairement à son parti qui pour le commun des mortels reste encore associé aux contestataires des mesures sanitaires au plus fort de la pandémie.
En contrepartie, Sylvain Lemieux aurait probablement mieux cadré chez les conservateurs : un parti qui souhaite moins d’État au quotidien — ce qui parle davantage aux propriétaires de PME comme lui — et dont les candidats sont plus prompts à « brasser la cage » en campagne — une attitude attribuée volontiers aux jeunes partis éloignés du pouvoir. Mais voilà, les jeux sont faits et les metteurs en scène politique ont eu le dernier mot. Pour une Marie-Eve Proulx contestée et au bilan déplorable, ces « anti-castings » viennent peut-être semer suffisamment la confusion chez les électeurs pour lui servir sa réélection sur un plateau d’argent.