Épicerie Chez Daniel : Savoir passer le flambeau

Kathleen St-Jean et Karine Habel. Photo : Maxime Paradis

Dépanneur ou même épicerie de village sont des termes qui collent difficilement à l’esprit émanant de l’Épicerie Chez Daniel de Mont-Carmel. Véritable institution dans le quotidien des Carmelois, commerce de destination pour les plus éloignés, l’épicerie coup de cœur de toute une région arrive aujourd’hui à un tournant : passer le flambeau à une relève encore à trouver, qui saura préserver l’identité singulière des lieux.

L’effet d’une bombe. Dans un petit village de 1146 âmes, la mise en vente de l’épicerie n’est pas le genre de nouvelle qui passe sous le radar. La situation n’a pas été différente à Mont-Carmel. Un bon matin, les Carmelois se sont réveillés et ils ont constaté, comme plusieurs autres, que leur épicerie chouchou était désormais sur le marché. « On avait avisé les employés il y a un an qu’on entamait les démarches de vente. Ils en ont parlé un peu autour d’eux, mais je crois que les gens du village l’ont réalisé réellement à partir du moment où ils ont vu l’annonce sur duProprio », raconte Karine Habel.

L’Épicerie Chez Daniel est depuis plusieurs années quelque chose comme l’âme de Mont-Carmel. Les gens y affluent pour faire leurs provisions, acheter une pinte de lait pour combler le manque impromptu de la semaine, ou encore se gâter avec un cornet de bonbons composé sur place à partir de l’offre en vrac. Non seulement ils ne repartent jamais les mains vides, mais ils sont rassasiés au passage par la bonne humeur des deux épicières et de leur équipe, ou encore par la chaleur des étagères en bois et du lambris sur les murs, qui rendent l’expérience de magasinage encore plus intime et personnelle. Pas étonnant que la mise en vente du commerce fasse autant réagir. « Le commerce va bien, c’est le temps de le faire. Les clients n’ont rien à craindre, car d’ici là, on n’a pas l’intention d’arrêter d’être qui nous sommes », rassure Kathleen St-Jean.

Tandem de feu

À la fois yin et yang, Karine et Kathleen étaient complices bien avant d’être associées. Kathleen, jadis conseillère municipale à Mont-Carmel, a fait la connaissance de Karine alors que cette dernière était agente de développement pour la Municipalité. Ensemble, elles ont mené divers projets, de l’émission La petite séduction à Radio-Canada jusqu’à Municipalité de la Résistance, titre octroyé en 2013 à Mont-Carmel à l’occasion de la Journée de la résistance et de la fierté rurale. « L’Épicerie Chez Daniel, c’était un prétexte pour travailler ensemble. Si l’opportunité avait été un magasin de chaussures, on aurait acheté ensemble le magasin de chaussures », explique Karine.

En alliant leurs forces, Karine et Kathleen ont su construire leur commerce avec beaucoup de doigté depuis huit ans. Au royaume kamouraskois de l’agroalimentaire, où l’achat local fait pratiquement office de religion, elles ont su trouver sur leurs tablettes l’équilibre entre la Coors Light et la bière de microbrasserie, le similipoulet et la viande d’élevage local. Peu importe le porte-monnaie ou les valeurs nourricières de leurs clients, elles avaient toujours quelque chose à leur mettre sous la dent, et cela, sans jugement. « Je crois qu’on a aidé à démocratiser l’alimentation de tous les horizons », dit sans prétention Kathleen, qui était déjà employée de l’épicerie depuis 12 ans avant de prendre avec Karine la relève de Daniel Drapeau.

« Je crois qu’on a été audacieuses », enchaîne fièrement Karine. La preuve est que la formule a depuis été reprise dans nombre de petites municipalités de Kamouraska-L’Islet. « Quand j’ai commencé à travailler pour Daniel il y a 20 ans, les supermarchés avaient pratiquement eu raison de toutes les épiceries de village. Ce n’est que tout récemment qu’on a assisté à la réouverture de petits marchés de proximité à Sainte-Louise, Saint-Onésime, et même Saint-André », rappelle Kathleen.

Essoufflement

Mais cette audace a aussi un prix : celui du succès consacré, avec une clientèle fidèle et récurrente qui n’hésite plus à débourser le petit 0,50 $ de plus qu’au supermarché, simplement parce qu’elle tient à son épicerie de village, ou encore aussi celui de l’énergie constante que commande le renouvellement de l’offre dans un commerce comme le leur. « Quand on a acheté, on s’était dit dix ans. Après huit ans, on est essoufflées; la pandémie a été essoufflante », ajoute Karine, qui estime avoir géré davantage des consignes sanitaires qu’une entreprise entre 2020 et 2022.

Avant que l’énergie ne soit plus au rendez-vous pour opérer, ou même pour passer le flambeau, Karine et Kathleen ont donc décidé de vendre. « Un commerce comme le nôtre, parfois ça peut prendre quelques années avant de trouver une relève. Vaut mieux trop tôt que tard », avoue Kathleen.

Les deux épicières ne savent pas ce que l’avenir leur réserve, et ne cherchent pas non plus à faire de plans; elles feront face à la musique le moment venu. Elles demeurent néanmoins positives pour l’avenir de leur commerce, peu importe qui prendra la suite. « L’esprit de l’Épicerie Chez Daniel, c’est nos clients qui vont la poursuivre. Les nouveaux propriétaires ne pourront pas résister, ils vont se faire contaminer. »