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Faire du gaz naturel « vert » avec le fumier des animaux ?

Photo : Joseph Sharp (Unsplash.com)

Ça s’appelle la biométhanisation, et on nous présente ça comme la production de gaz naturel renouvelable (GNR), donc bonne pour l’environnement. Comme pour l’auto électrique, dont je vous parlais dans ma dernière chronique, ça ressemble à un autre mirage.

De tout temps, le fumier des animaux constitue le meilleur engrais pour régénérer et fertiliser nos terres en culture. Composté surtout, le fumier animal demeure l’engrais le plus complet et le plus efficace dans le temps. Les petits tas de fumier derrière l’étable de nos grands-parents étaient du fumier-nature, mêlé à la paille des litières d’animaux, donc moitié composté. Même les producteurs bio qui n’élèvent pas d’animaux cherchent à s’en procurer (Acti-Sol).

La malédiction du lisier

Quand est arrivé le libre-échange, au début des années 1990, les agriculteurs se sont lancés dans la production porcine pour exporter. Ce fut le début de l’agriculture industrielle intensive. On se souvient tous de la guerre des cochons qui a sévi un peu partout dans les campagnes québécoises. Pour faciliter l’entretien de ces porcheries industrielles où on enferme des milliers de cochons, notre ministère de l’Environnement s’est empressé de permettre aux producteurs de gérer ces fumiers sous forme liquide, et a exigé la construction de fosses pour contenir ces grandes quantités de lisier dans lequel les déjections animales sont mêlées à 90 % d’eau.

Les citoyens ont sonné l’alarme par crainte que ces quantités astronomiques de lisier, chargé d’azote et de phosphore, soient déversées sans contrôle dans les champs environnants et atteignent les cours d’eau et les nappes phréatiques. Et c’est ce qui s’est produit : de plus en plus de municipalités et de particuliers ont des problèmes de nitrates dans leurs sources d’eau potable, et tous nos ruisseaux et rivières ont dépassé le seuil d’eutrophisation, c’est-à-dire le seuil au-delà duquel les poissons meurent et les algues prennent le dessus. Bien géré, le lisier demeure un engrais naturel possible.

Les engrais chimiques

On pourrait se réjouir qu’on veuille faire du gaz naturel avec ce maudit lisier empesté, qui est aussi devenu la règle dans les fermes laitières. Mais la méthanisation de ces fumiers ne fera que déplacer et aggraver le mal. Car si on va de l’avant avec la méthanisation des fumiers solides et liquides, par quoi va-t-on les remplacer pour fertiliser les champs, vous pensez ?

Par des engrais chimiques à base d’azote, de phosphore et de potassium de synthèse. Ces engrais magiques ne sont pas des engrais complets ni naturels : ils ne contiennent aucun des 40 oligo-éléments tout aussi indispensables à l’équilibre de la vie. Surtout, ils ne contiennent pas de matière organique. L’azote, le phosphore et le potassium y étant offerts sous forme minérale et soluble – donc directement assimilable par les plantes, un peu comme un sérum qu’on donne à un malade incapable de s’alimenter naturellement –, ils nourrissent la plante mais pas le sol, qui s’atrophie peu à peu, au point de ne devenir qu’un soutien physique aux plantes. Les engrais chimiques court-circuitent tout le cycle vital du sol, et entraînent au surplus l’utilisation de pesticides contre les ravageurs et les maladies. Quant à l’utilisation des résidus de la biométhanisation (digestat), on a constaté récemment que ceux provenant de la biométhanisation des boues septiques se sont avérés hautement toxiques.

Choisir la biométhanisation des fumiers, c’est s’enfoncer encore un peu plus dans un modèle d’agriculture industrielle qui tue les sols et les rivières, et nous tue, nous aussi, à petit feu. Faire du gaz avec les fumiers, faire de l’éthanol avec du maïs, fabriquer de la viande et du lait en laboratoire, robotiser les fermes, c’est détruire toujours un peu plus l’équilibre naturel des écosystèmes. Les compagnies de gaz y voient une porte de secours, nos gouvernements subventionnent au nom de l’économie verte, mais nous tous, on s’enfonce chaque jour un peu plus, au nom du progrès.