Gisèle Lebrun : Une vie à faire fleurir

Gisèle Lebrun taille ses iris dans le Jardin Valensbrun. Photo : Maxime Paradis.

À 78 ans, Gisèle Lebrun impressionne. Elle entretient seule 6660 m2 de sous-bois, jardins et plates-bandes des deux côtés du rang 2 où elle habite depuis plus de 55 ans à Saint-Roch-des-Aulnaies. Cet exploit, elle l’a réalisé et le poursuit encore aujourd’hui malgré les embûches qui se présentent parfois sur son passage et qu’elles défrichent, une plate-bande à la fois.

Cette passion des plantes anime Gisèle Lebrun depuis l’âge de huit ans. L’âge où elle a emprunté les ciseaux de couture de sa mère pour couper les brins de foin qui l’empêchaient de voir les fleurs des rosiers et des lilas, mais également l’âge où elle avait demandé à son père d’aménager un jet d’eau sur le terrain de leur résidence de Saint-Bruno-de-Kamouraska, après que celui-ci s’est procuré une pompe électrique pour la maison.

Si les plaisirs d’enfance tracent souvent la route que nous suivrons à l’âge adulte, il était écrit dans le ciel ou sinon dans la cime des arbres qu’un jour Gisèle aurait son jardin. « Plus jeune, je ne voulais pas me marier. Je ne voulais pas être comme ma mère, j’aurais continué l’école si j’avais pu. C’est plus tard que j’ai commencé à me dire que si un jour je me mariais, j’aurais un jardin », avoue-t-elle.

Au tournant de la vingtaine, Gisèle a fini par se faire prendre au jeu. Roger Gagnon, son mari, l’a séduite. Féministe avant l’heure, pour elle le mariage était toutefois synonyme d’égalité. Pour cette raison, elle n’a jamais hésité argumenter avec son mari lorsque la situation le nécessitait, aujourd’hui bien consciente que ses ambitions étaient souvent en décalage avec celles des autres femmes de son époque.

Les jardins

Le premier jardin aménagé par Gisèle se trouve toujours devant sa maison. Plus modeste que les autres, il comprend ce fameux jet d’eau qu’elle aurait bien aimé que son père lui concocte durant son enfance. Ensuite s’est ajoutée la haie de cèdres, que Gisèle se souvient avoir été un des premiers argumentaires avec son conjoint. « Mais, ça s’est fait », poursuit-elle.

Comme tous les autres aménagements qu’elle a réalisés au fil du temps, elle a planté la haie avec l’argent de sa première paye de vacances lorsqu’elle travaillait chez Artisanat Chamard à Saint-Jean-Port-Joli. Plus tard, ce sont ses petits salaires de conseillère municipale durant 24 ans ou de juge pour le concours Villes, villages et campagnes fleuris pendant 14 ans qui l’aideront à réaliser ses autres aménagements.

Après la naissance de son fils Valentino, elle a enchaîné avec la plantation de 128 épinettes qu’elle a récoltées une à une sur le bord de la route, tout en s’occupant de lui.

« Je marchais un mille à l’est et un mille à l’ouest pour les ramasser. Ensuite, je les ai toutes replantées chez moi. On riait de moi, car on disait que j’allais être envahie par les mouches. »

Son mari Roger a ensuite creusé un lac sur la partie plus marécageuse du terrain. Gisèle s’est occupée de charger la terre et la roche qu’elle a raclées. Le Jardin Valensbrun — nom formé au hasard par la pige des lettres des trois prénoms de la famille Gagnon-Lebrun —, a suivi peu de temps après. Ce jardin en forme de huit a forcé Gisèle à charger à la main 28 dix roues sur une période de trois ans. À la fin, une haie d’épinettes a été plantée pour encercler le jardin.

Le dernier aménagement et non le moindre est le jardin floral du côté nord du rang 2 que Gisèle Lebrun a réalisé en dix ans, après la visite du hockeyeur Jean Béliveau en 1988 et avec qui elle avait partagé son souhait. « Peut-être qu’il ne m’avait pas cru, mais il m’avait à ce moment encouragé à poursuivre mes rêves et à construire. » Jean Béliveau est revenu par la suite en 2001 pour son inauguration.

Travailleuse acharnée

Pour entretenir l’ensemble de ces aménagements, Gisèle Lebrun se lève tous les matins à 4 h et commence son travail vers 5 h 45. Tondre la pelouse en tracteur lui prend 7 h 30. Le coupe-bordure électrique lui demande tout autant de temps. Et il ne s’agit là que des travaux réguliers, car l’opération coupe-bordure peut facilement monter à 12 h lorsqu’elle s’attaque aux boisés et à sa plantation de chêne, sans oublier le sarclage dans les plates-bandes.

Dotée d’une forme physique qui fait envie, la dame de 78 ans ne se voit pas arrêter. Elle est d’ailleurs convaincue que c’est cet ambitieux travail qui la maintient en si bonne santé. Il faut dire que Gisèle Lebrun semble avoir été préparée à ce type de besogne rigoureuse dès son jeune âge. À 14 ans, elle travaillait déjà 12 h 30 par jour, six jours et demi par semaine au Couvent des sœurs de la Charité de La Pocatière. Elle n’avait droit qu’à une seule journée de congé par mois. « Plus personne ne ferait ça aujourd’hui », reconnaît-elle.

En plus de l’entretien, Gisèle Lebrun fait la visite de ses jardins en été du vendredi au mardi. Autrement, elle comble le reste de son temps avec l’artisanat, l’aquarelle et les hybridations de fleurs, pour ne nommer que ces quelques activités. Plusieurs iris ont été hybridés par elle au fil du temps, dont 11 sont aujourd’hui enregistrées à l’American Iris Society et trois en l’honneur de personnalités connues : Jean Béliveau, Pauline Marois et plus récemment le général Roméo Dallaire.

« J’aime beaucoup la psychologie de l’iris. Le feuillage a la forme d’un poignard, mais les pétales n’en font pas trop de cas. Ceux du haut continuent leur chemin et ceux du bas se soumettent d’une certaine manière à l’autorité. »

L’image fait sourire et rappelle Gisèle Lebrun. Que peut-elle être d’autre sinon un iris qui a lui aussi réussi à fleurir, envers et contre tous ?