Immigration : la stratégie de la noyade

Drapeau canadien devant le parlement d’Ottawa. Photo : Jason Hafso (Unsplash.com)

« La seule force capable de vaincre le mécontentement actuel, et par la suite, d’effacer la nationalité canadienne-française, est celle d’une majorité numérique d’une population anglaise et loyale. » – conclusion du Rapport de lord Durham sur la rébellion des Patriotes de 1837.

Trudeau et les hommes d’affaires loyalistes n’ont rien inventé avec leur projet de 100 millions de Canadiens à la fin du siècle. La stratégie de la noyade des peuples conquis par l’immigration « anglaise et loyale » est celle des Britanniques en Amérique depuis les tout débuts. C’est pourquoi l’immigration, si souhaitable soit-elle à divers égards, demeure une arme à deux tranchants pour le Québec.

À peine les jeunes colonies de Champlain avaient-elles pris forme en Acadie, le long du Saint-Laurent et au cœur de l’Amérique, en lien étroit avec les Premières Nations, que les ambitieuses colonies britanniques de Virginie et de Nouvelle-Angleterre convoitaient ces colonies françaises comme leur étant destinées. Ils ne tardèrent d’ailleurs pas à les attaquer, jusqu’à finalement les déporter, comme en Acadie en 1755, ou les brûler, comme Wolfe le fit en Gaspésie et sur les deux côtes est du Saint-Laurent en 1759, avant de finalement s’emparer de Québec en 1760.

Dès lors, on appliqua la stratégie de la noyade plutôt que celle de la force pour assimiler les Canadiens français. On leur laissa leur langue, leur religion, leurs traditions juridiques et seigneuriales, donc leur liberté apparente, mais on profita de la guerre d’indépendance des colonies américaines pour ramener au Canada les milliers de Britanniques restés fidèles au roi d’Angleterre; on leur donna les meilleures terres du sud du Québec et de l’Ontario, et ils ne tardèrent pas à accaparer tout le commerce et les affaires dans les villes de Montréal et de Québec. On fit la même chose avec la Louisiane française.

Après la révolte des Patriotes et l’échec du projet de République indépendante du Bas-Canada promu par Papineau, on appliqua la stratégie de noyade recommandée par lord Durham en fusionnant d’abord le Bas-Canada (Québec) et le Haut-Canada (Ontario), ce qui deviendra plus tard la Confédération canadienne des colonies britanniques d’Amérique. Cette Confédération, tout comme la Constitution canadienne rapatriée en 1982, maintient les « privilèges » des Québécois francophones, mais les noie dans le grand tout canadien-anglais comme simple province, et ne les reconnaît pas comme nation fondatrice. René Lévesque lui-même a souvent dénoncé cette stratégie de la noyade par l’immigration massive.

Et voici que l’« Initiative du siècle » de Trudeau et de ses complices vient condamner le Québec à la noyade définitive. Car on sait bien que dans le contexte actuel, même avec une immigration francophone, les immigrants finissent le plus souvent par s’intégrer davantage à l’ensemble canadien et américain que québécois : un Algérien, un Sénégalais, un Haïtien ne deviennent pas automatiquement des Québécois en mettant les pieds au Québec. L’avenir de la nation québécoise, de son héritage historique et culturel, c’est plus que l’avenir de la langue française comme simple moyen d’expression. L’influence du Québec dans ce Canada, gonflé à l’immigration anglaise, sera plus que jamais désavantageuse.

Est-ce à dire que nous sommes perdus? Depuis le temps, les Québécois ont appris à nager et à surnager. Le sentiment et la volonté d’être une nation distincte, libre et ouverte au monde sont toujours là dans le cœur de tous les Québécois, même les plus sages ou les plus peureux. Il est encore temps de nous constituer politiquement comme nation, comme le croyait René Lévesque. Nous ne pouvons demeurer plus longtemps un peuple « sans papiers ». Les deux référendums perdus ont démontré, non pas qu’on se refusait, mais que l’outil référendaire n’était peut-être pas le bon, parce qu’il favorise la polarisation et la division plutôt que la recherche d’un consensus de toute la population sur la souveraineté politique que nous jugeons nécessaire et possible. Il faut trouver le moyen de nous « constituer » politiquement comme peuple : il ne suffit plus de nager, il faut sortir de l’eau, avant d’être englouti.