Leurs pertes sont essentiellement le bois qui faisait office de transition entre la tourbière et leurs champs, mais aussi un peu de maïs et de foin. Un an après le spectaculaire feu de tourbes et de forêt aux Tourbières Lambert, des producteurs laitiers du rang du Bras à Saint-Denis-De La Bouteillerie restent sur leur appétit. Alors qu’on parle encore de l’héroïsme de ceux qui ont aidé à combattre les flammes, ils se demandent quelles leçons ont été tirées de cette tragédie afin qu’elle ne se reproduise pas.
Hervé Garon, copropriétaire de la Ferme Sauvagine, est le premier à avoir interpellé Le Placoteux à ce sujet. Il avoue avoir hésité longtemps avant de le faire, craignant ne pas se faire d’amis en posant des questions. Les petits milieux étant ce qu’ils sont, une loi de l’omertà se crée souvent d’elle-même autour des sujets sensibles.
« On comprend que c’est un accident. Mais mon questionnement n’est pas tant en lien avec l’entreprise (Tourbières Lambert) que les services de sécurité incendie. Si jamais une autre catastrophe comme ça se reproduit, aux Tourbières ou ailleurs, seront-ils en mesure d’y faire face », questionne-t-il?
Au premier jour du déclenchement du feu le 19 juin 2020, Hervé Garon dit avoir été témoin de problèmes de communication et de coordination sur le terrain entre les différents services de sécurité incendie du territoire. Son boisé étant à la frontière de Saint-Philippe-de-Néri, Rivière-Ouelle et Saint-Denis-De La Bouteillerie, il se trouvait sous la juridiction de deux d’entre eux. L’intervention a tardé, dit-il, jusqu’à ce que la SOPFEU s’en mêle. Le décor, aujourd’hui, désole.
Il ne s’avance toutefois pas à dire si ces « manquements », comme il les qualifie, sont tout aussi responsables que le vent qui soufflait à vive allure ce jour-là, dans l’avancée rapide du brasier vers chez lui. Il comprend que les pompiers n’étaient pas prêts pour un feu de cette ampleur et il ne les blâme pas.
Ferme Marbras
Son voisin Martin Garon et le fils de ce dernier, Benoît, tous deux de la Ferme Marbras sont du même avis. Ils avouent eux aussi avoir été témoins de « manquements » dans les premiers jours du feu et ils se gardent bien de jeter la pierre aux pompiers. Ils veulent seulement comprendre ce qui s’est moins bien passé.
« Disons qu’il y avait beaucoup de gens de bonne foi qui voulaient s’impliquer et faire des choses, mais on voyait bien qu’il y avait au début un manque de coordination et de communication entre les équipes incendie, les gens de chez Lambert, les agriculteurs et la SOPFEU », déclare Benoît.
La méconnaissance du terrain, de l’avis de Martin, est un des facteurs qui n’a pas aidé. « Ce n’est pas tous les pompiers ni les agriculteurs qui savaient ce que c’était une tourbière », enchaîne-t-il. Parmi ceux qui s’étaient portés volontaires pour arroser les champs, il raconte que certains s’enfonçaient avec leur machinerie dans le sol, faisant remonter des braises à la surface. Plusieurs ont eu des bris, souligne-t-il.
Cette méconnaissance d’une tourbière, Benoît Garon l’attribue aussi aux services 911, dont sa conjointe aurait été la deuxième à appeler le 19 juin. Ayant grandi dans une famille de producteurs de tourbes du Nouveau-Brunswick, elle savait que la nature combustible de la matière nécessitait une intervention rapide lorsqu’elle a aperçu la fumée de chez elle dans le rang du Bras.
« Probablement que la personne qui lui a répondu a confondu tourbe avec pelouse, car les pompiers sont débarqués chez nous alors que ma conjointe avait bien spécifié le chemin Lambert à Rivière-Ouelle et que le feu n’avait même pas encore gagné Saint-Denis », se souvient Benoît.
Des réponses
Un an après le feu et comme bien des gens de la région, Hervé, Martin et Benoît Garon se posent toujours des questions sur ce qui a été fait ou non par les services de sécurité incendie. Le but de leur démarche n’est pas de faire leur procès, mais d’informer la population dans une démarche constructive. « Comme ça s’est beaucoup parlé, on s’attendait minimalement à des retours de leur débriefing », a déclaré Martin Garon.
Hervé Garon signale de son côté avoir cherché à en savoir davantage sur les plans d’intervention futurs des services de sécurité incendie, advenant une autre catastrophe du genre. Sa demande n’aurait pas abouti. « J’ai fait des démarches auprès de la Municipalité (Saint-Denis-De La Bouteillerie) pour en savoir plus et on ne m’a jamais répondu. Il est question de sécurité civile, ici. Comme contribuable, on paye pour ces services-là, c’est notre droit de savoir. »