Kamouraska : Élucider l’histoire du « noir nommé Pierre »

Julie-Christine Hélas et Michel Dumais, avec une copie du registre paroissial de l’inhumation de Pierre Photo : Christine Beaudoin

Imaginez la scène : vous roulez sur la 132 par une belle journée d’été et vous arrêtez au « Berceau de Kamouraska ». Curieux, vous jetez un œil au monument intitulé « Hommage aux pionniers : Personnes inhumées au berceau de Kamouraska », où figurent une panoplie de noms familiers. Vous défilez la liste, à la recherche du vôtre. Puis, à la toute fin, vous lisez « un noir nommé Pierre ». Mais qui peut-il bien être? Chaque année, cette question qui relève toujours d’un mystère, est sur les lèvres d’une centaine de touristes visitant le site patrimonial. On tente actuellement de l’élucider.

Julie-Christine Hélas, agente de mobilisation à l’immigration à la MRC de Kamouraska et archéologue de formation, a eu la puce à l’oreille en lisant une publication sur le groupe Facebook Le Comité Social au sujet de la curieuse inscription. « Pourquoi le pointe-t-on pour la couleur de sa peau? » se demande-t-elle. Ensuite, une conférence  d’Aly Ndiaye au sujet de l’histoire des Noirs et de l’esclavage en Nouvelle-France vient semer l’idée de la recherche dans son esprit : « Peut-être que ce monsieur était pointé comme Noir parce qu’il l’était effectivement et qu’à l’époque, on désignait ainsi les domestiques ou les esclaves? »

Pour entamer son enquête, l’archéologue contacte sa référence « préférée » en histoire, Michel Dumais. Ce dernier est généalogiste aux Archives de la Côte-du-Sud depuis 1991, où il est à la recherche de toutes les ressources possibles et « impossibles » à sa disposition pour répondre à des questions comme celle de l’histoire de Pierre. Celle-ci est un casse-tête dont on tente toujours de trouver les morceaux.

« Presque une enquête policière »

Julie-Christine Hélas et Michel Dumais ont énoncé quelques théories entourant l’histoire de Pierre, mais ils disposent d’une seule information tangible : un registre paroissial, datant de l’an 1774, qui note l’inhumation dudit Pierre — ou plutôt, de ses ossements. En fait, il serait mort deux ans auparavant, en 1772.

Sur l’acte d’inhumation, il y a cependant une piste. Les ossements de Pierre auraient été trouvés dans le bois derrière la demeure d’un certain Augustin Syrois. L’équipe de recherche tente donc de le retracer, une quête qui relève également du défi.

« Tout le monde connaissait [Augustin Syrois] dans le temps, explique le généalogiste, donc il n’y avait pas de problème. Mais aujourd’hui, 200 années et quelques plus tard, il faut faire le lien. » Pour trouver un terrain de 1772, il n’y a pas de cadastre, de numéro de lot ou de numéro d’immeuble auxquels les recherchistes puissent se référer. Pour arriver à faire le pont entre la terre de M. Syrois et qui y demeure actuellement, il faut procéder par une « chaîne de titres ». Cette tâche est confiée à Pierrette Maurais, archiviste et ethnologue retraitée qui se spécialise en la matière.

Contexte historique

Une partie de la recherche consiste à établir le contexte historique dans lequel a évolué le dénommé Pierre. À l’époque, 6 % des Noirs recensés au Québec étaient libres. « Il aurait pu être un homme libre, et pour une raison quelconque s’être retrouvé au Kamouraska. Il se pourrait aussi qu’il fasse partie du 94 % de Noirs en situation d’esclavage », note Julie-Christine Hélas. Elle ajoute qu’en 1772, la fin de l’esclavage approche. Il cesse d’être pratiqué au Bas-Canada à partir des années 1800, et est officiellement aboli dans l’Empire britannique en 1834.

« On a un Noir qui, très probablement, était en situation d’esclavage, et qui aurait peut-être fui ou bien se serait perdu. On n’a pas été en mesure de le rattacher à un propriétaire. On n’a pas non plus trouvé de trace d’une recherche publiée dans le journal de l’époque [La Gazette de Québec]. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on a une personne que l’on peut identifier par son prénom, retrouvée à un endroit qu’on n’a pas encore précisément localisé. »

Julie-Christine Hélas soutient que « l’objectif, finalement, c’est de faire la lumière sur l’histoire de Pierre ». Du côté des Archives de la Côte-du-Sud, l’équipe de recherche tente de trouver des éléments tangibles qui permettraient de retracer l’endroit où Pierre a été retrouvé, et peut-être de mieux comprendre ses origines et son parcours. On souhaite éventuellement installer un panneau d’interprétation qui permettrait de répondre à cette fameuse question qui brûle les lèvres des visiteurs du Berceau de Kamouraska chaque année.

Activité aux Archives

Une activité de découverte des archives et d’éclaircissements sur des « petits mystères historiques de la région » aura lieu le 25 mars, de 9 h à midi, aux Archives de la Côte-du-Sud à La Pocatière. La participation est sur inscription seulement; les modalités paraîtront sous peu sur les pages Facebook des Archives de la Côte-du-Sud et d’Immigration Kamouraska.

 

Monument commémoratif du Berceau de Kamouraska. Photo : Christine Beaudoin