Lorsque Charles Létang verse les grains dans son nouveau moulin, un mélange de fierté et d’émerveillement se lit sur son visage. Sa boulangerie Du Pain, c’est tout… de La Pocatière est désormais l’une des rares au Québec à posséder un tel équipement. Pour lui, ce moulin n’est pas simplement un outil de plus, c’est une révolution.
« Ça fait des années que j’y pense, mais c’est maintenant une réalité », confie Charles en observant la meule de pierre en action. Depuis 2016, il s’approvisionnait en farine auprès de la Seigneurie des Aulnaies, comme de nombreux boulangers de la région. « Avoir mon propre moulin, c’est la possibilité de contrôler chaque étape de la production, d’être encore plus proche du produit fini », dit-il.
Ce contrôle accru est essentiel pour Charles, qui voit dans la farine l’élément le plus fondamental de son métier. « Je compare ça à un vigneron qui connaît ses raisins. Moudre moi-même mes grains me permet d’adapter mes choix selon les variétés et les qualités de céréales que je veux utiliser. Je peux ajuster la mouture à mes besoins. »
Le moulin, qu’il a acheté en Californie, est un modèle Astrié, spécialement conçu pour dérouler le grain plutôt que de l’écraser. « C’est une technologie rare, développée par deux frères en Bretagne dans les années 1980. Ça permet de mieux extraire tout ce qui est bon dans le grain, tout en laissant de côté l’écorce. »
Texture plus fine
Ce n’est pas seulement la précision qui fait la différence. Le boulanger note aussi des améliorations dans la texture et dans la qualité de ses pains. « Je remarque que la texture est un peu plus fine, même si les variétés restent les mêmes. Le moulin fait une différence subtile, mais importante. Et puis, il y a le plaisir immense de savoir qu’on fait tout soi-même! »
Ce plaisir, Charles ne le cache pas. La première fois qu’il a utilisé le moulin, il s’est senti comme un enfant devant un nouveau jouet, qui regarde le train électrique tourner encore et encore autour de l’arbre de Noël. « C’est hypnotisant, voir les grains se transformer sous tes yeux, entendre le bruit régulier de la meule, je peux passer des heures à regarder ça, sans m’en lasser. »
Derrière cette passion, il y a aussi une logique économique. En ayant son propre moulin, Charles parvient à maintenir des prix compétitifs tout en utilisant des ingrédients de qualité supérieure, notamment des grains biologiques. « Je veux garder mes prix accessibles, même si je travaille avec du bio. Moudre ma propre farine coupe un intermédiaire, ce qui me permet de rester compétitif tout en offrant un produit de haute qualité. »
Investissement de 30 000 $
L’acquisition de ce moulin représente un investissement de 30 000 $. « Ça va prendre quelques années à rembourser, mais je pense que ça en vaut la peine. Ça va nous permettre de continuer à offrir du pain de qualité, tout en restant fidèles à nos valeurs de proximité », note Charles.
Au-delà de la rentabilité, Charles voit dans ce moulin une manière de renouer avec les racines de son métier. « Je ne veux pas juste acheter des sacs de farine chez un fournisseur. Je veux connaître chaque étape de ce que je fais, être en lien direct avec ma matière première. C’est un retour à l’essence même de la boulangerie. »
Pour ce passionné de pain, l’acquisition du moulin n’est que la suite logique d’une démarche artisanale déjà bien ancrée. En moulant ses propres grains, Charles Létang perpétue un savoir-faire millénaire, tout en l’adaptant aux exigences contemporaines. Et si, au passage, il peut s’émerveiller chaque jour devant ce geste ancien, alors c’est tout bénéfice.