En 2020 au Québec, neuf femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Dans le dernier mois seulement, cinq femmes, déjà, ont succombé à la violence conjugale. Toutes nos pensées vont à leur famille et à leurs proches.
La pandémie a exacerbé la situation déjà très difficile dans laquelle vivaient les femmes et les enfants victimes de cette violence, en plus de complexifier la demande d’aide. Confinées avec leur conjoint à la maison, coupées de leur cercle familial, amical et de travail, elles ont vu la violence s’intensifier en gravité et en fréquence.
L’assouplissement des mesures sanitaires et le retour potentiel à une vie normale nous font craindre le pire. Après des mois à avoir le contrôle total sur leur conjointe, comment les conjoints violents vont-ils réagir quand elles pourront retourner au travail, voir leur famille et amis.es ? Nous redoutons de nouvelles tragédies, il y a urgence d’agir maintenant.
Offrir de l’aide d’urgence à chaque femme qui en fait la demande et prévenir la violence au plan sociétal : ce sont là deux des missions essentielles et indissociables dont nous sommes investies en tant que maisons d’aide et d’hébergement. Une promesse que nous n’avons pas toujours la possibilité de tenir, faute de moyens, et qu’il est capital de garantir.
Malgré les investissements consentis l’an passé, qui permettront de consolider nos équipes et d’assurer la continuité des services offerts, force est de constater que notre réseau est à bout de souffle. Trop souvent, nous peinons à répondre à la demande et devons délaisser la prévention pour prioriser l’intervention. Ouvertes 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, nos maisons ont rivalisé d’ingéniosité depuis le début de la pandémie pour éviter les ruptures de services, réorganiser l’accueil et les services, et joindre le plus de femmes possible.
En nous reconnaissant comme services essentiels et en collaborant avec nous de façon proactive depuis mars dernier, votre gouvernement a pris la mesure de notre importance sociale. Les ambitieuses réformes anticipées — du Tribunal spécialisé en passant par la réforme du droit de la famille — et les recommandations des comités s’étant penchés sur la violence conjugale nous donnent l’espoir d’une transformation en profondeur du système judiciaire et d’une société qui refuse avec force la violence envers les femmes.
Nous avons besoin que cette volonté politique ferme se poursuive ; de votre côté, vous avez besoin d’un réseau de ressources spécialisées vigoureux pour déployer cette vision de société aux quatre coins de la province et mettre en pratique les initiatives et plans d’action annoncés. En conjuguant nos forces, nous pouvons faire reculer la violence conjugale et garantir les droits des femmes. Pour cela, il est nécessaire que vous nous donniez les moyens et les capacités d’offrir les services directs dont les femmes et les enfants ont besoin et d’agir sur plusieurs fronts.
Il n’est pas encore temps de relâcher nos efforts en matière de violence conjugale. Sensibiliser les proches et les plus jeunes dans nos écoles, former les policiers. ères et les intervenants.es de la DPJ à mieux intervenir en présence de violence conjugale, bâtir des alliances avec les milieux de travail aussi appelés à se mobiliser, contribuer à façonner un système judiciaire qui place les victimes au cœur des décisions, coordonner des cellules de crise lorsqu’une femme ou ses enfants sont en danger de mort, adapter les services pour répondre aux besoins des femmes plus vulnérables et ne laisser personne passer à travers les mailles du filet, etc. Voici quelques-unes des actions que nos maisons mènent déjà auprès de nos communautés, en tant qu’organismes communautaires de proximité, et que nous devons avoir les moyens de poursuivre et d’intensifier.
La tâche est immense, mais notre détermination l’est plus encore. La problématique est complexe, mais nous avons l’expertise et l’expérience. La route est longue, mais nous sommes prêtes à tenir la distance, avec votre aide. Pour les femmes, pour leurs enfants, et pour que les générations à venir n’aient plus à craindre pour leur sécurité parce qu’elles sont femmes, donnez-nous les moyens de tenir cette promesse à la fois élémentaire et pourtant étonnamment exigeante, encore, en 2021.
Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale